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Implants mammaires texturés : une interdiction généralisée n’est pas justifiée, jugent les experts

Le comité consultatif de l’Agence de sécurité des produits de santé, qui a mené des auditions jeudi et vendredi, recommande une vigilance accrue sur ces prothèses.

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Publié le 08 février 2019 à 22h26, modifié le 09 février 2019 à 09h58

Temps de Lecture 5 min.

Prothèse mammaire lisse du laboratoire Allergan.

Le comité de huit expertes composé par l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) menait, jeudi 7 et vendredi 8 février, une série d’auditions « sur la place et l’utilisation des implants mammaires texturés en chirurgie esthétique et reconstructrice ». Son avis, purement consultatif, a été publié dans la foulée.

« La plus grande prudence doit être réservée » aux implants de ce type, a conclu le comité. Tout en ajoutant qu’il n’est pas justifié de les interdire en bloc. Cependant, « il convient d’interdire le recours » à un modèle particulier, pointe l’avis : la prothèse Biocell de la marque Allergan, leader du marché. L’ANSM prendra sa décision dans les prochaines semaines.

Scientifiques, chirurgiens, autorités de santé, patientes : près d’une quarantaine de personnes s’étaient déplacées pour discuter de la responsabilité de ces implants dits « texturés » dans la genèse du lymphome anaplasique à grandes cellules (LAGC). Un cancer aux mécanismes biologiques encore inconnus, mais dont il est désormais établi qu’il peut être lié au port d’implants. Conçues pour avoir un « effet Velcro » qui permet à la prothèse d’adhérer aux tissus, les surfaces des « texturés » pourraient créer une inflammation chronique à l’origine de la maladie.

Fin novembre 2018, l’ANSM avait recommandé aux professionnels de suspendre leur utilisation. C’était quelques jours avant la publication des « Implant Files », une enquête du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), à laquelle Le Monde a participé. En France, environ 500 000 femmes portent des prothèses mammaires.

Aucune norme

C’est avec les statistiques du LAGC, en augmentation chaque mois, qu’ont commencé les auditions, retransmises en direct sur la chaîne YouTube de l’ANSM, mais fermées à la presse pour assurer la « tranquillité des intervenants ».

Depuis l’identification du premier cas, en 1997 (2009 en France), 673 cas ont été recensés dans le monde. Professeure d’hématologie à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil, Corinne Haioun a présenté les données du registre des cas français, dont elle est responsable : 58 personnes concernées à ce jour, dont trois décès. Avec une surreprésentation du modèle Biocell d’Allergan.

Vendus principalement par cette marque, les « texturés » représentent 83 % du marché français, selon l’ANSM. En décembre 2018, le groupe américain s’était vu refuser le renouvellement de son marquage CE (conformité européenne) l’autorisant à vendre ses modèles macro (Biocell) et microtexturés (Microcell) en Europe.

Lisses, macrotexturés, microtexturés et même nanotexturés : aucune norme ne permet en fait de tracer une frontière entre les différents types d’implants en silicone. En 2018, des analyses commanditées par l’ANSM ont montré que des prothèses vendues comme « micros » étaient des « macros ». Dès lors, lesquelles réglementer ou interdire ? Une question rendue d’autant plus difficile au vu des chiffres apportés par le représentant de l’agence américaine (FDA) : les 457 cas de LAGC comptabilisés aux Etats-Unis, a-t-il expliqué, incluent trente cas avec des implants « lisses ».

Manque d’informations sur les risques encourus

La première matinée a aussi été marquée par les manœuvres des fabricants. L’ANSM avait posé des règles claires : les représentants des firmes pouvaient être présents, mais seules les organisations représentatives du secteur avaient le droit d’être auditionnées.

Se présentant comme « directrice médicale pour Allergan », Nathalie Mesnard a affirmé être là « en tant que représentante du groupe Snitem [Syndicat national de l’industrie des technologies médicales] ». « Elle n’appartient pas au Snitem », assure l’organisation, jointe par Le Monde.

Dans un silence bouleversé, douze femmes en colère ont livré le récit de leur calvaire.

Le syndicat des industriels allemands, BVMeD, a, lui, tenté de revenir sur cette règle au cours des auditions. Sa représentante s’est fait sèchement rappeler à l’ordre par l’ANSM, et l’employé du fabricant allemand Polytech a été contraint au silence.

Au cours de l’après-midi, réservée à la parole des patientes, la question du LAGC est devenue presque secondaire. Dans un silence bouleversé, douze femmes en colère ont livré le récit de leur calvaire. Reconstruction après un cancer ou intervention esthétique, elles avaient toutes en commun d’avoir manqué d’informations sur les risques encourus.

Elles ont connu ruptures d’enveloppe, formations de coques et épanchements. Douleurs et symptômes auto-immuns. Opérations et réopérations. Ponctions, mutilations. Explantation de prothèses frauduleuses PIP. Errance médicale, souvent, pour ces femmes confrontées à des médecins qui n’ont pris au sérieux ni leurs symptômes, ni leurs souffrances. Elles profitaient de cette occasion trop rare pour demander des comptes aux autorités de santé et au corps médical.

Une impression de malaise

Contrairement aux habitués des congrès, Françoise Cote n’avait pas préparé de diapositives Powerpoint ; la fondatrice de l’association Dans l’enfer des prothèses mammaires brandissait plutôt des feuilles A4 couvertes de références bibliographiques. A ses côtés, Eric Grotzky s’est interrogé : « Est-ce l’ensemble des implants en silicone qu’il faut mettre en cause ? »

Vendredi, c’était le tour des chirurgiens esthétiques et de leurs sociétés savantes, sponsorisées par les fabricants. Cette fois, à l’exception d’une chirurgienne, la salle était remplie d’hommes. D’emblée, la compétence du comité d’expertes a été questionnée. « Je m’interroge sur la commission qu’il y a en face de moi », les a défiées Bruno Alfandari, chirurgien à Bordeaux, les invitant à se demander, le moment venu, si elles possédaient « les connaissances suffisantes » pour avoir une opinion.

Historienne des sciences, maîtresse de conférences à l’université Lyon-I, la présidente du comité, Muriel Salle, a attendu la fin de sa présentation pour répondre : « Je n’ai pas une formation de médecin, mais m’interroger sur comment on fabrique du savoir, comment on pose des questions et comment y répondre, ça, je sais faire ! » Le comité comportait aussi chirurgiennes, médecins, psychologue et représentantes d’associations de patientes.

Toute la matinée ont défilé sur l’écran photos et vidéos de seins – avant et après. On a entendu que « les chirurgiens étaient aussi victimes que les patientes ». On a découvert le « micromort », unité de mesure qui quantifie la probabilité de décéder d’une cause donnée (0,4 micromort pour le LAGC contre 1 micromort pour un séjour de 48 heures à New York). « Notre expérience et notre vécu ne rentrent pas toujours forcément dans un cadre scientifique », a avancé Guillaume Auvray, chirurgien à Lesquin (Nord), non sans désinvolture scientifique.

Interdire la Biocell d’Allergan, oui, mais interdire les texturés, ce serait « revenir au Moyen Age », a affirmé Sébastien Garson, président de l’une des sociétés savantes regroupant les spécialistes de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique (Sofcep), illustrant son propos de photos extraites de publicités de lingerie peu couvrante. « Ne jetez pas le bébé avec l’eau du bain ! », a-t-il plaidé. « Je vous rassure, a souri Muriel Salle, on ne jettera pas les bébés. »

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