[Bertrand Monnet est professeur à l’Edhec (école de commerce), titulaire de la chaire Management des risques criminels. A ce titre, il s’intéresse au cartel de Sinaloa depuis 2014. Il lui a fallu des années pour identifier des intermédiaires capables de garantir à la fois la fiabilité de ses interlocuteurs et sa sécurité. Cette enquête sur le fentanyl, qui a donné lieu à une série vidéo en trois volets diffusée sur Lemonde.fr, a nécessité de nombreux séjours au Mexique et un long travail de mise en confiance. « Les “narcos” ont accepté de témoigner par volonté d’afficher leur puissance sur la scène internationale », estime le chercheur.]
Une piste, la nuit, au nord de Culiacan. J’ai rendez-vous avec un cadre du cartel de Sinaloa. Après un quart d’heure d’attente au point GPS communiqué au préalable sur WhatsApp, un long 4 × 4 GMC blanc approche, tous phares allumés. Un homme vêtu d’un gilet pare-balles, coiffé d’un casque en Kevlar, se tient debout dans la benne, une main sur la crosse d’une mitrailleuse de 7,62 millimètres posée sur le toit. Trois autres, que l’on devine également armés, sont assis derrière lui. Plusieurs silhouettes se dessinent derrière les vitres fumées de l’habitacle.
Le 4 × 4 ralentit à la hauteur du pick-up Toyota dans lequel je me trouve avec un conducteur affilié au cartel. Surgissant de l’obscurité, deux hommes cagoulés équipés de fusils d’assaut AK-47 et M4 grimpent sur le plateau arrière de notre véhicule. « On les suit », ordonne l’un d’eux, au moment où le GMC nous dépasse. Après vingt minutes de piste, le convoi s’arrête dans une sorte de cuvette, entre un bois et le pré d’un ranch éclairé par la lune. Seuls les grillons et de courts messages crachés par les radios Motorola de notre « escorte » troublent le silence de la nuit.
Un homme en veste de treillis s’avance vers notre pick-up. Lui aussi porte une cagoule, sous laquelle il a glissé un portable collé à son oreille, afin d’avoir les mains libres. « Surtout, garde ton téléphone éteint, lâche-t-il à voix basse. Et tu sors quand on te le dit. » Une dizaine d’hommes inspectent les alentours. Deux d’entre eux pointent leurs fusils vers la cime des arbres en scrutant le ciel, afin de repérer d’éventuels drones.
Le « cadre » que je viens rencontrer sort enfin du GMC blanc. Appelons-le Juan. Sa place au sein du cartel – une organisation structurée de façon horizontale, composée de plusieurs dizaines de clans – en fait un interlocuteur fiable : il dirige les tueurs (les sicarios, dans le jargon des « narcos ») de l’un de ces clans, implanté à Culiacan, une ville de 900 000 habitants, le fief de cette organisation mafieuse considérée comme la plus puissante du Mexique.
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