Un bébé joufflu, emmitouflé dans les premières couches de l’automne, tète le sein de Léa (à la demande des témoins, tous les prénoms ont été modifiés), employée d’une petite entreprise du secteur de la culture. Le vacarme du percolateur qui fait hausser le ton des clients de ce café du 18e arrondissement de Paris semble bercer l’enfant. Celle-ci a 2 mois, et bientôt commencera l’adaptation à la crèche pour que sa mère reprenne le chemin du travail. Dans ces derniers instants collées-serrées, Léa pense à cette future rentrée, une légère appréhension au creux du ventre.
Elle se souvient de la première fois qu’elle a vécu ça, pour sa fille aînée, Nora. A l’époque, elle sort d’un congé maternité dans le cocon d’un appartement aux murs bleu clair où le soleil perce tous les après-midi. Le retour s’annonce doux : de l’annonce de sa grossesse à son départ, en passant par les mois loin du bureau, tout s’est très bien passé avec son employeur. Sa direction lui avait demandé si elle souhaitait être mise au courant de l’évolution du service commercial pendant son absence, elle avait dit oui, sans être tenue à quoi que ce soit. « J’ai apprécié qu’on me le propose, qu’on me fasse sentir que j’étais une personne centrale de cette petite entreprise. »
Quelques semaines avant la date de sa reprise du travail, on lui a proposé de participer à une réunion où lui a été offerte une promotion : le poste de directrice commerciale était pour elle, si elle le voulait. Elle a accepté, reconnaissante que sa maternité ne soit pas un obstacle dans sa vie professionnelle. « J’ai eu de la chance qu’on me fasse confiance, que personne n’estime que j’allais être moins capable de faire les choses parce que j’étais devenue maman », insiste Léa.
Pour elle, la suite est sur le même ton. L’entreprise est bienveillante en tous points. Mais, à l’évocation de son jour de reprise, Léa se souvient malgré tout d’un moment difficile. C’est un lundi de novembre, alors que le second confinement vient de sonner. Elle se retrouve seule chez elle, dans le même décor où elle a passé deux mois à bercer son nouveau-né, assise à la table de la salle à manger, avec un ordi sous les yeux et un tire-lait ventousé à la poitrine. « Mais qu’est-ce que je fous là ? », se répète-t-elle, en boucle, le regard embué de larmes qu’elle ne parvient pas à maintenir sur l’onglet « e-mails non lus ».
« Je me suis sentie transparente »
Même dans le meilleur des scénarios, revenir au travail est marqué par ce bouleversement intime : passer l’essentiel de sa journée sans cet être qu’on n’a pas quitté plus de quelques heures depuis sa naissance. Couper le cordon une seconde fois, avec l’impression de « trahir ce si petit bébé, encore un animal sans défense », illustre Léa. Une culpabilité qui transparaît aussi dans les mots d’Elsa, 38 ans, employée et maman de deux jeunes enfants. « Quand tu laisses ton bébé, tu entres dans un premier mouvement de séparation symbolique : tu passes le relais », dit-elle avec nostalgie au téléphone.
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