En France, une grossesse sur cinq se termine après quelques jours, quelques semaines de gestation. Ces fausses couches peuvent être traumatisantes. Pour les couples engagés dans une démarche de procréation médicalement assistée (PMA), cette épreuve s’ajoute à un parcours déjà long et semé d’embûches.
Alors pourquoi ne pas pouvoir en parler plus librement ? Pourquoi tant de silence autour du début de grossesse ? Spécialiste des ressources humaines (RH), Judith Aquien est directrice de la rédaction de Décideurs RH et a écrit Trois mois sous silence. Le tabou de la condition des femmes en début de grossesse, sorti en 2021 aux éditions Payot. Un plaidoyer pour que les droits des femmes enceintes soient davantage reconnus dans la société, que leurs souffrances soient mieux prises en compte dans le monde du travail. Elle était l’invitée du podcast du Monde « (In)fertile », une série d’entretiens autour de la fertilité.
Dans votre livre, vous écrivez que tomber enceinte n’est pas qu’« une entrée merveilleuse dans le miracle de la vie ». Que voulez-vous dire ?
J’ai vécu un début de grossesse puis une fausse couche et j’ai été saisie de voir à quel point ce qui est traversé par les femmes est disqualifié par la société. L’Assurance-maladie ne reconnaît d’ailleurs véritablement la grossesse qu’à la fin du premier trimestre.
Par ailleurs, la grossesse, ce n’est pas que merveilleux. C’est tout d’un coup énormément de questions existentielles, auxquelles s’ajoutent des symptômes, qui sont d’ailleurs qualifiés par la médecine de « petits maux de la grossesse », ce qui est scandaleux ! Ce vocabulaire ne nous prépare pas à ce qui nous attend. Les mots utilisés ne qualifient pas ce qui est vécu.
D’où ces non-dits viennent-ils ?
J’y vois plusieurs explications. D’abord, la peur de la fausse couche. Mais on pourrait se dire que, dans une société à peu près bien pensée, le risque induit de la protection, et les femmes pourraient donc être davantage accompagnées. Chaque année, en France, 200 000 femmes sont concernées par une fausse couche.
Une autre explication tient au discrédit jeté de manière systématique sur la parole des femmes. Une femme qui souffre n’est pas reconnue avec le même empressement et au même degré de souffrance qu’un homme. Par exemple, on donnera plutôt un calmant à une femme, là où un homme recevra un antidouleur.
Certains médecins considèrent même que les maux de la grossesse sont l’expression d’un rejet, d’une somatisation. Ce sont des paroles culpabilisantes qui peuvent avoir des répercussions psychologiques. La dépression prénatale existe et multiplie ensuite les risques de dépression du postpartum. C’est un enjeu de santé publique majeur, mais il n’est pas pris en compte.
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