Ce billet est extrait de la newsletter hebdomadaire « Darons Daronnes » sur la parentalité, envoyée tous les mercredis à 18 heures. Pour la recevoir, vous pouvez vous inscrire gratuitement ici.
Vous est-il déjà arrivé de découvrir, retranscrite noir sur blanc dans un livre, une émotion si intime que vous pensiez être seule au monde à l’avoir ressentie ? C’est ce que j’ai vécu en lisant, dans le recueil Etre mère (L’Iconoclaste, 176 pages, 18 euros, en librairie depuis le 4 avril), le court texte de l’écrivaine Camille Anseaume. Pour cet ouvrage, l’autrice Julia Kerninon a demandé à six consœurs de partager des récits autour de la maternité. Camille Anseaume y évoque ses séjours à l’hôpital pour accoucher en ces termes : « La maternité – le lieu, pas l’état – est mon endroit de villégiature favori. J’envisage les séjours à la maternité comme des voyages, en préparant mon sac je dois me retenir d’y glisser de la crème solaire et des mots croisés. »
Elle ajoute ensuite, en songeant au fait qu’elle n’aura plus d’enfant : « Plus jamais les chocolats chauds au petit déjeuner, plus jamais les repas au lit, plus jamais les documentaires animaliers. Plus jamais mon mec qui dort sur un matelas à mes pieds. Plus jamais le ravissement d’une purée tiède et insipide après des heures sans manger, ni la sonnette d’alarme qui donne une réponse à toutes mes angoisses. Plus jamais l’odeur de l’eau dynamisante de Clarins dans une chambre plongée dans la pénombre, à l’aube, après une douche, la première depuis l’accouchement. »
Rien que de recopier ces quelques lignes, les larmes me montent aux yeux. Je pourrais ajouter à cet inventaire ma propre liste de fétichismes hospitaliers : la sensation des draps rêches de l’AP-HP ; le couloir, de nuit, mes pieds nus sur le lino, avec ma cadette hurlante dans les bras ; la photocopie racornie d’un tableau manuscrit sur lequel noter les tétées, les urines et les selles du bébé ; le lit baquet à roulettes du nouveau-né ; les passages à heures fixes d’infirmières et de sages-femmes. J’ai même pris en photo l’intégralité de ma chambre d’hôpital après mon troisième accouchement, douche et lavabo compris, pour ne pas oublier.
Comme un utérus géant
Peut-être que ce souvenir enchanté n’a rien de rare. Peut-être même qu’il est banal. Mais je ne l’avais jamais entendu formulé par quiconque. Pourquoi ? Sans doute pour ne pas blesser celles et ceux qui l’ont vécu autrement. En France, 11,7 % des femmes gardent un mauvais souvenir de leur accouchement, selon l’enquête périnatale 2021 de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Je mesure évidemment ma part de chance : mes trois accouchements se sont bien passés, mes trois bébés étaient en bonne santé. Mais de cette expérience qui m’est propre, je voudrais profiter pour dire quelque chose qui me tient à cœur : la maternité peut être un cocon. Un lieu de soin, d’attention, de douceur. Comme un prolongement de la grossesse, un utérus géant (doté d’une cafèt’ qui vend les journaux) et protecteur qui prépare à la sortie, la vraie. Je sais que je ne suis pas la seule, loin de là : selon l’enquête de l’Inserm, 89,9 % des femmes recommanderaient leur lieu d’accouchement à une proche, et 91,6 % considèrent qu’elles ont été bien accompagnées par les professionnels lors de leur séjour.
Il vous reste 58.32% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.