![Ross (David Schwimmer), son fils Ben (Cole Mitchell Sprouse) et Susan (Jessica Hecht), la belle-mère de Ben, sur le tournage de la saison 2 de « Friends » (1995).](https://img.lemde.fr/2024/06/11/0/0/1396/2100/664/0/75/0/fecb410_1718112828472-2gxa218.jpg)
Il est très tard. Ou très tôt. Ou les deux, je ne sais pas. Bref, c’est la nuit, et c’est tout ce que je sais. Les cris de Junior m’ont, une nouvelle fois, tiré du lit. Je me dirige vers sa chambre, je la prends dans mes bras, j’essaie de la rassurer. Rien n’y fait. Au bout de quelques minutes, la silhouette de sa mère, D., émerge de la pénombre. Elle prend Junior dans ses bras, s’assied sur le fauteuil, propose son sein à notre fille qui, d’un coup, cesse de pleurer. D. me chuchote : « Retourne te coucher ! » Je m’exécute, avec un mélange de soulagement (je retourne au lit), et de frustration (à ce moment précis de ma vie, je ne sers à rien). Cette scène, elle s’est produite de très nombreuses fois au cours de l’année écoulée, pratiquement jusqu’à ce que Junior soit sevrée, à l’âge de 14 mois.
Un premier constat s’impose : Junior a bénéficié d’un allaitement maternel long. En France, la durée médiane totale d’allaitement était d’un peu moins de quatre mois en 2011, selon les données de l’étude longitudinale française depuis l’enfance, publiées dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire quatre ans plus tard. Une hausse par rapport aux années 1990 – elle était alors estimée entre huit et dix semaines.
Après plusieurs décennies au cours desquelles les enfants ont majoritairement été biberonnés au lait maternisé, les femmes françaises semblent se réconcilier avec l’allaitement. Il faut avouer qu’elle y ont été fortement incitées. L’Organisation mondiale de la santé recommande un allaitement exclusif d’au moins six mois depuis 1990, et la distribution promotionnelle de lait artificiel est interdite dans les maternités depuis 1994. Ainsi, « 31 % des femmes allaitaient leur bébé à la sortie de la maternité en 1972. Elles sont aujourd’hui 66 % », rappelait la sociologue Maya Paltineau, dans un entretien au Monde en 2016. Désormais, il n’est pas rare de voir dans des publications à destination des parents que les femmes seraient investies d’une certaine forme d’« instinct » vis-à-vis de l’acte « naturel » que serait l’allaitement, soupire la sociologue Séverine Gojard, qui consacre ses recherches aux déterminants sociaux des pratiques alimentaires. Un changement de discours radical par rapport à celui servi à la génération du baby-boom… Dans un tel contexte, quelle place pour les hommes ?
« Comme un meuble »
La décision de l’allaitement maternel est, bien souvent, un choix de la mère elle-même : plus un couple est socialement homogène, plus les avis tendent à converger. « Certains pères, appartenant le plus souvent aux catégories supérieures, se rangent à l’avis de la mère, considérée comme plus compétente ou concernée par l’allaitement », note une étude parue en 2021 dans les Cahiers de nutrition et de diététique. « La décision appartient alors à la mère : le père ne se prononce pas », poursuit le texte. Silence radio, hormis pour défendre le choix de la mère, comme le fait le personnage de Ross dans la série Friends (épisode 2, saison 2, diffusé aux Etats-Unis le 28 septembre 1995), tandis que son ex-femme, Carol, allaite leur fils en présence de leurs amis. « C’est mon fils qui déjeune, là !, s’exclame-t-il. Faut vous y faire, ça reviendra. Si ça vous met mal à l’aise, posez des questions. »
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