On est plus vite enivré dans les airs qu’au niveau de la mer. Ce n’est pas une légende mais une réalité biologique : en altitude, le corps reçoit moins d’oxygène, et ce manque profite à l’alcool, qui pénètre rapidement dans le sang. « Avec Air France, nous avons fait des tests en haut de l’aiguille du Midi [en Haute-Savoie, à 3 842 mètres] pour voir comment la dégustation évoluait. L’expérience s’est révélée édifiante », témoigne Philippe Faure-Brac, sommelier de la compagnie de 1998 à 2005. En avion, « la sensation est proche de celle que l’on peut avoir dans un restaurant d’altitude, au ski », confirme Oliver Dixon, responsable des vins pour Emirates.
Plus largement, la dégustation en vol est différente. L’avion peut ruiner les efforts de certains vignerons mais consacrer les bouteilles de certains autres. L’environnement sec, pressurisé, et l’air conditionné vont influer sur la perception des aliments comme des boissons. Le passager se déshydrate rapidement, il salive moins, son palais s’assèche. Une gêne peut être éprouvée au niveau du nez : la pressurisation fait gonfler certaines muqueuses, freinant la ventilation des odeurs.
Si, en plus, le passager est stressé par le confinement dans l’avion, sa température corporelle peut s’élever légèrement, provoquant une altération du goût et de certaines saveurs. A l’inverse, les aliments qui ne sont ni salés, ni sucrés, ni acides, ni amers, baptisés « umami » par les Japonais, ont tendance à se révéler. Cela explique l’énorme succès du jus de tomate dans les avions, jugé souvent fade au bistrot.
Un supplément d’acidité
Les sommeliers doivent tenir compte de ces paramètres dans leur choix de vins pour les compagnies aériennes. « En vol, on va mieux percevoir ce que l’on appelle les parties dures d’un vin : un vin acide sera plus acide, un tannique plus tannique. Les cépages réputés pour leurs tanins importants peuvent se révéler compliqués », analyse Paolo Basso, sommelier d’Air France. En conséquence, ce dernier évite de les recommander.
Le choix du millésime peut-il s’avérer déterminant ? « C’est très compliqué, explique Paolo Basso. Il faut aussi prendre en compte, pour une même appellation, le travail du vigneron, les microclimats, les vendanges différentes selon les parcelles. Un millésime médiocre avec de l’acidité peut se révéler bien meilleur en altitude. »
Le Languedocien Jean-Claude Mas, propriétaire des Domaines Paul Mas, pousse le bouchon un peu plus loin. Pour lui, l’altitude révèle ses vins et les rend meilleurs. « Dans les airs, tout ce qui est gourmand se goûte mieux. Moi, je fais justement des vins gourmands, plus plaisants qu’astringents. »
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