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Notaires, pharmaciens, huissiers... sont-ils des privilégiés ?

Les professions réglementées sont dans le collimateur du gouvernement. Pourtant, la réalité ne correspond pas toujours aux chiffres brandis.

Par , et

Publié le 16 juillet 2014 à 08h00, modifié le 10 décembre 2014 à 11h55

Temps de Lecture 8 min.

La guerre est déclarée. Thierry Mandon, secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat, a estimé, mardi 15 juillet, que certaines professions réglementées « doivent comprendre » qu'elles peuvent « faire des efforts ». Des déclarations qui jettent un froid parmi les professions visées, alors que Les Echos fait état d'un rapport de Bercy préconisant des réformes pouvant faire baisser jusqu'à 20 % leur prix.

Le ministre de l'économie, Arnaud Montebourg, a annoncé dans son discours « pour le redressement de l'économie », jeudi 10 juillet, sa volonté de déréglementer le système, à peine un mois après que l'Autorité de la concurrence a été saisie par le ministre sur les tarifs de certaines professions juridiques (officiers publics et ministériels, administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires).

Les termes de « rente » ou de « monopole », utilisés par M. Montebourg, renvoient aux corporations de l'Ancien Régime. Mais ces professions relèvent, pour certaines, de l'organisation du système de santé, de la délégation de service public (dans le cas des professions juridiques) ou de la protection des consommateurs. Et le soutien dont elles bénéficient (numerus clausus, prérogatives de certains actes…) n'empêche pas une variété de situations, en particulier dans les zones rurales ou économiquement moins développées. Voici quatre exemples :

1. Notaire

2. Pharmacien

3. Ambulancier

4. Huissier

1. Notaire

2. Pharmacien

3. Ambulancier

4. Huissier

« Nos émoluments sont proportionnels au prix de vente : le prix moyen d'une maison ici est de 100 000 euros », témoigne Bruno Barbe à Lavelanet, dans l'Ariège. Installé depuis 1989, il n'a acheté sa charge qu'en 2004. Charge qu'il continue d'ailleurs de rembourser : il lui reste encore cinq ans. L'officier public ne livre pas le prix de cet investissement mais celui-ci est lié à la valeur de l'étude (qui dépend elle-même de son chiffre d’affaires) et peut aller de 100 000 à 1 million d’euros.

Pour finir de rembourser son emprunt, Me Barbe compte essentiellement sur les activités liées à l'immobilier (qui représente environ la moitié de l'activité notariale dans l'Hexagone). Un terrain sur lequel les notaires pourraient se voir directement concurrencés par les agents immobiliers si le monopole des actes authentiques leur était retiré.

Dénonçant la vision de « nantis » que véhicule le ministre de l'économie, le notaire revendique assurer une mission de service public et participer au maillage territorial au niveau juridique mais aussi en matière d'emploi. « J'ai quinze salariés et mon étude est en perte de rentabilité. Si, demain, nous perdons la prérogative de certains actes, il y aura fatalement un mouvement de concentration… »

Quand une étude parisienne peut empocher 7 000 euros pour une vente à 800 000 euros, une étude rurale doit souvent se contenter de 520 euros pour une vente à 25 000 euros. « Pourtant, le temps passé pour chaque dossier va grandissant », déplore le notaire.

« Avec la loi ALUR [Accès au logement et un urbanisme rénové], nous recevons souvent les clients cinq ou six fois avant la signature du contrat, des consultations gratuites que nous sommes tenus de mener. » Dans son cas, il touchera environ 1 700 euros pour une vente à 100 000 euros, desquels il devra ôter les frais engagés par son étude (son assurance, les courriers en recommandé, les demandes d'actes payants à d'autres administrations, etc.).

Selon le Conseil supérieur du notariat, plus de la moitié des actes sont facturés à un coût inférieur à leur coût de production. 10 % des études de France n'ont pas couvert leurs charges ou sont en perte depuis le début de l'année.

La situation financière des pharmaciens, et en particulier des petites officines isolées, n'est pas aussi avantageuse que ce que pourrait laisser penser leur monopole de dispensation des médicaments. Si le nombre de pharmaciens a augmenté en 2013, avec l'inscription à l’ordre de 378 pharmaciens de plus (+ 0,51 %) qu'en 2012, il faut également prendre en compte le fait qu'une officine ferme tous les trois jours, selon une étude de l'Ordre des pharmaciens sur la démographie de la profession (voir le PDF à partir de la page 7).

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Ce mouvement amorcé depuis plusieurs années correspond aux préconisations de l'Inspection générale des affaires sociales qui, dans son rapport de juin 2012, écrivait qu'il fallait « réduire de 10 % le nombre d'officines d'ici 2017 » (il y a environ 24 000 pharmacies en France). Une situation qui favorise les grandes pharmacies aux dépens des plus petites, notamment celles situées dans les déserts médicaux.

Gilbert Vincent a ouvert il y a cinq ans une pharmacie à Boulieu-lès-Annonay, en Ardèche. Dans ce département, 11 % de la population vit dans une zone où le nombre de médecins généralistes est inférieur d'au moins 60 % à la moyenne nationale. Depuis la création de son commerce, ce pharmacien de 55 ans a vu son chiffre d'affaires baisser de 2,7 %. Une tendance qui s'est accélérée depuis le début de l'année, avec une chute de 3 % de son chiffre d'affaires par rapport à 2013. Selon Gilles Bonnefond, le président de l'Union des syndicats de pharmaciens d’officine, cette baisse correspond à une tendance nationale.

Gilbert Vincent explique principalement sa situation par la baisse du prix des médicaments qui, selon une étude de l’Insee, a reculé en moyenne de 1,8 % par an entre 2000 et 2010. Mais également par la hausse de la délivrance de médicaments génériques, dont le prix public est moins élevé que celui des « princeps ». Depuis 2012, les pharmaciens sont en effet dans l'obligation de proposer automatiquement un traitement générique de substitution aux clients dont l'ordonnance n'affiche pas les lettres « NS » pour « non substituable ».

Mais les génériques ne sont pas le moindre des maux des pharmaciens : si leur monopole a déjà été mis à mal par la loi Hamon avec notamment la mise en vente de tests de grossesse dans les grandes surfaces, les déclarations d'Arnaud Montebourg font craindre le pire à ces professionnels de la santé. A titre d'exemple, 10 à 12 % du chiffre d'affaires de Gilbert Vincent provient de la vente des médicaments « conseils », c'est-à-dire les médicaments disposant d'une autorisation de mise sur le marché mais délivrés sans ordonnance, comme les remèdes contre le rhume ou les maux de gorge.

Au début de l'été, les ambulanciers avaient manifesté pour sensibiliser l'Etat à leurs difficultés financières.

La situation des ambulanciers rappelle celle des taxis, et pour cause : une partie des ambulanciers pratique les deux activités et craint, tout comme les taxis, l'arrivée de concurrents « non homologués ». La profession n'est pas protégée par un numerus clausus mais par un agrément.

Outre les fameuses ambulances au gyrophare bleu, on trouve des VSL (véhicules sanitaires légers) et de plus en plus de taxis conventionnés par l'assurance-maladie. Ces derniers sont particulièrement dans le viseur de Bercy : la Cour des comptes avait souligné en 2012 que « les dépenses de transport des taxis prises en charge par l'assurance-maladie ont augmenté de façon beaucoup plus rapide que les autres dépenses ». Reste que l'activité, sur l'ensemble du territoire français, dépend aussi de ces « taxis-ambulanciers ».

Pourtant, Luc de Laforcade, président délégué de la Chambre nationale des services d’ambulances, explique que « l'ambulance rapporte plus qu'elle ne coûte à l'assurance-maladie ». Selon lui, les trajets en ambulance se multiplient en raison de la politique publique de maintien à domicile du patient et la suppression des petits établissements de santé au profit des plus grandes structures.

« On ne peut pas imaginer la moindre baisse tarifaire dans le secteur », clame Luc de Laforcade. Président des ambulances Jussieu secours national, son entreprise compte 180 salariés avec une rémunération « proche du smic ». « Que l'on parle de 5, 10, 15 ou 20 %, une baisse des prix des services ne ferait qu'accélérer une mort déjà annoncée », assure-t-il.

Bien avant la publication du rapport sur les professions réglementées, les ambulanciers avaient tiré la sonnette d'alarme contre l'augmentation de la TVA pour le secteur. Au début de l'été, ils avaient manifesté pour sensibiliser l'Etat face aux difficultés financières rencontrées par les entreprises d'ambulances. Ils se sont également rendus à l'Elysée une semaine avant l'intervention de M. Montebourg.

Une étude d'huissier de justice.

« Huissier ne rime plus avec rentier, et ce depuis vingt ans ! » Estelle Molitor, elle-même huissier de justice et membre de l'intersyndicale des professions libérales (UNAPL), insiste : « On est loin de gagner 16 000 euros net par mois. » Plutôt 3 000, et dans des conditions de travail « infernales », juge-t-elle. Trois semaines de vacances à l'année, douze heures de travail quotidien et des matinées à traîner dans la boue pour appliquer des décisions d'expulsion de logement.

Les tarifs des activités d'huissier résultent du monopole du métier qui date de 1945. Ils sont fixés par un décret de 1996 selon une grille tarifaire. « Pour chaque acte, il y a une taxe d'enregistrement de 9,5 euros et une TVA de 20 %. J'ai sous les yeux une signification de décision de justice que je viens de signer : toute taxe comprise, elle coûte 82 euros, après les prélèvements, il m'en reste 52 », détaille Mme Molitor.

Les huissiers sont aussi nombreux en 2013 qu'il y a cinq ans, soit un peu plus de 3 000. « La situation actuelle n'est pas une situation de monopole, il y a déjà une concurrence, on est tellement nombreux ! », ajoute-t-elle. Installée rue de Grenelle, à Paris, elle s'est endettée depuis quinze ans pour pouvoir acheter sa propre étude.

Me Patrick Sanino, président de  la Chambre nationale des huissiers de justice, a affirmé sur France Info qu'il serait possible de faire un milliard d'économies auprès de la profession, mais que cela reviendrait « à mettre 15 000 salariés sur le tapis ». Sachant que l'allocation moyenne par chômeur tourne autour de 11 000 euros par an, cette seule prise en charge (sans parler du manque à gagner en termes de consommation et du coût de la recherche de solutions alternatives) pèse pour 165 millions chaque année. Un calcul à affiner, donc.

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