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La réforme du code du travail est-elle vraiment une « loi El Khomri XXL » ?

Nous avons comparé les ordonnances qui seront présentées vendredi 22 septembre en conseil des ministres aux principales mesures de la loi travail du précédent quinquennat.

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Publié le 21 septembre 2017 à 09h12, modifié le 14 mai 2018 à 18h42

Temps de Lecture 8 min.

Les ordonnances réformant le code du travail doivent être présentés, vendredi 22 septembre, en conseil des ministres. Après une journée d’action qui a rassemblé plus de deux cent mille manifestants le 12 septembre, de nouvelles mobilisations sont prévues jeudi, organisées par la CGT et Solidaires, et samedi par La France insoumise, contre ce qu’ils qualifient de « loi travail XXL » ou de « loi El Khomri puissance dix ». Qu’en est-il en réalité ?

Si la méthode retenue par la ministre du travail, Muriel Pénicaud, a été différente de celle employée par sa devancière, Myriam El Khomri – plus grande concertation avec les syndicats, court-circuitage du débat parlementaire par le recours aux ordonnances –, la parenté est forte entre les deux textes, et la nouvelle loi va parfois plus loin que celle portée par le gouvernement Valls :

Les mesures de la loi El Khomri renforcées par les ordonnances

Passation de pouvoir entre Myriam El Khomri et Muriel Pénicaud, le 17 mai, au ministère du travail.
  • La hiérarchie des normes

La loi El Khomri s’est concentrée sur la question du temps de travail. Sur ce thème, les négociations au niveau des entreprises priment désormais sur celles des branches professionnelles. C’est un bouleversement du principe de « faveur » : un accord d’entreprise peut être moins avantageux pour le salarié que l’accord de branche.

Les ordonnances opèrent une bascule plus générale, puisque l’accord d’entreprise prime sur le code du travail, même s’il est moins-disant sur la plupart des sujets. Seuls onze domaines (les salaires, le temps partiel, la pénibilité, la formation, etc.) seront obligatoirement négociés au niveau des branches professionnelles — alors que certaines étaient jusqu’alors fixées par le code du travail — et quatre autres (prévention des risques, handicap, etc.) pourront l’être en fonction des décisions de chaque branche.

Ainsi, les branches pourront-elles étendre la durée maximale de recours aux CDD ou leur nombre de renouvellements, qui étaient jusqu’à présent strictement encadrés par le code du travail. Elles pourront aussi adopter des « contrats de projet », jusqu’alors réservés au BTP ou à l’informatique : plus long que les CDD, ils se terminent à la fin d’un projet, contrairement au CDI.

  • Des négociations sans syndicat

La loi El Khomri permet de signer des accords avec un salarié, même non élu, à partir du moment où il est mandaté par un syndicat. Elle facilite aussi la négociation avec des représentants du personnel, puisque les accords ne sont plus soumis à validation par la branche professionnelle mais seulement transmis pour information.

Les ordonnances permettent, dans les entreprises de moins de 50 salariés, de négocier avec des délégués du personnel sur tous les sujets sans qu’ils aient de mandat syndical. Dans les entreprises de moins de 11 salariés (voire de moins de 20 s’ils n’ont pas de délégué du personnel), l’employeur pourra présenter un accord directement aux salariés. Il sera validé s’il est approuvé à la majorité des deux tiers.

  • Le référendum d’entreprise

La loi El Khomri a défini les règles de validation d’un accord d’entreprise. S’il est approuvé par les syndicats représentant plus de 50 % des salariés, il est adopté. Si ce seuil n’est pas atteint, une ou des organisations syndicales représentant entre 30 % et 50 % des salariés peuvent demander un référendum interne : ce sont alors les salariés qui se prononcent directement par un vote. Ce système d’abord réservé aux modifications de la durée du travail devait être étendu aux autres chapitres à partir du 1er septembre 2019 — à l’exception des accords de maintien dans l’emploi.

Les ordonnances prévoient que le référendum puisse être organisé à l’initiative de l’employeur, en plus des syndicats, toujours dans le cas où le texte a été signé par des syndicats représentant entre 30 % et 50 % des salariés — encore faut-il que ces derniers ne s’y opposent pas. Par ailleurs, l’extension de cette procédure à « tous les sujets » est avancée au 1er mai 2018.

  • Le compte pénibilité

La loi El Khomri a fusionné les droits à la formation (accrus pour les moins qualifiés), le compte pénibilité et un compte personnel d’engagement au sein du compte personnel d’activité (CPA) afin de regrouper les droits des actifs. Ce dernier n’inclut pas le compte épargne-temps.

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Les ordonnances modifient le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), mesure lancée en 2015 pour permettre aux salariés exposés de partir plus tôt en retraite. Rebaptisé « compte professionnel de prévention », il allège « les contraintes administratives inapplicables » pour les entreprises. Seuls six des dix critères de pénibilité doivent être définis. Les autres (charges lourdes, postures pénibles, vibrations, risques chimiques) n’auront plus à être déclarés par l’employeur, mais ne seront pris en compte que si une maladie professionnelle ou une incapacité supérieure à 10 % est reconnue.

  • Les heures de délégation

La loi El Khomri a augmenté de 20 % le temps mensuel autorisé aux délégués pour exercer leur fonction : de dix à douze heures par mois dans les entreprises de 50 à 150 salariés, de quinze à dix-huit heures jusqu’à 500 salariés et de vingt à vingt-quatre dans les très grands groupes.

Les ordonnances évoquent un plancher de dix heures par mois dans les entreprises de moins de 50 salariés et de seize heures dans les plus grandes. Elles précisent que ni le temps passé en réunion avec l’employeur ni les formations ne sont décomptés dans ces heures de délégation. Le texte présenté par le gouvernement propose de faciliter l’évolution professionnelle des élus ou leur recrutement par concours à l’inspection du travail.

Le retour de mesures écartées dans la loi El Khomri

Des salariés d’ArcelorMittal manifestent à Marseille, le 12 septembre.
  • Les indemnités prud’homales

La loi El Khomri intégrait dans sa première version un plafond pour les indemnités de licenciement décidées au tribunal des prud’hommes, mais cet article a été réécrit, pour se contenter finalement de proposer un « barème », que les juges sont libres de suivre ou non.

Les ordonnances réintroduisent un plafonnement obligatoire en cas de licenciement « sans cause réelle et sérieuse » (hors discrimination ou atteinte aux droits fondamentaux), allant d’un mois de salaire pour les salariés en poste depuis moins de deux ans, à vingt mois au maximum pour trente ans d’ancienneté. Le plancher, c’est-à-dire la somme minimale que peut percevoir un salarié, est également abaissé de six à trois mois pour plus de deux ans d’ancienneté et le délai de recours aux prud’hommes est réduit de deux ans à un an.

  • Le périmètre des licenciements économiques

La loi El Khomri avait tenté à l’origine de réduire à la France le périmètre permettant d’apprécier les difficultés économiques d’une entreprise, mais cette proposition avait été réécrite, et le texte précise désormais que « les difficultés économiques créées artificiellement à la seule fin de procéder à des suppressions d’emplois » ne peuvent pas « constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement ».

Les ordonnances précisent bien que le « périmètre d’appréciation du motif économique [sera] fixé au niveau national, comme dans la grande majorité des pays européens », même si « le juge pourra continuer à contrôler les éventuels abus ». L’objectif est de faciliter les règles pour les multinationales. Avec un risque mis en avant par les syndicats : que la filiale française supprime des emplois alors même que le groupe enregistre des profits au niveau mondial.

  • Le droit au télétravail

La loi El Khomri instaure un droit à la déconnexion, pour encadrer l’usage des outils numériques en dehors de l’entreprise, afin de préserver l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et ouvrait la voie à des négociations sur le télétravail.

Les ordonnances proposent une autre mesure pour concilier vies professionnelle et personnelle : le recours facilité au télétravail, avec une meilleure indemnisation en cas d’accident du travail. Ce sera désormais à l’employeur de justifier son refus de ce type de travail. Les syndicats espèrent toutefois que la charge de travail sera bien encadrée, pour éviter un effet pervers de surcharge ou de connexion permanente.

Les nouveautés des ordonnances Pénicaud

La ministre du travail, Muriel Pénicaud, le 31 août à Paris.
  • La fusion des instances de représentation professionnelle

Jusqu’à présent, les grandes entreprises comptent quatre instances de représentation du personnel : les délégués syndicaux (DS) ; les délégués du personnel (DP) ; le comité d’entreprise (CE) ; le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). La loi Rebsamen de 2015 permet d’en réunir deux ou trois, par le biais d’un accord majoritaire, au sein d’une « délégation unique du personnel » (DUP).

Les ordonnances fusionnent trois des quatre instances — délégués du personnel, CE et CHSCT — au sein d’un conseil social et économique (CSE), unique dans toutes les entreprises de moins de 50 salariés. Une « commission santé, sécurité et conditions de travail » est obligatoire pour les entreprises de plus de 300 salariés ou pour celles qui sont à risque (nucléaire, Seveso).

  • La rupture conventionnelle collective

Depuis 2008, un salarié et son employeur peuvent signer une rupture conventionnelle individuelle, c’est-à-dire un départ à l’amiable (ni démission ni licenciement) ouvrant droit à une indemnité chômage. Pour licencier plusieurs salariés en même temps, l’entreprise devait ouvrir un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), procédure très encadrée et réservée aux cas de difficultés économiques, ou un plan de départ volontaire (PDV) aujourd’hui encadré seulement par la jurisprudence.

Les ordonnances instaurent une rupture conventionnelle collective, qui installe dans la loi le système du PVD, tout en l’allégeant de certaines obligations, comme les mesures de reclassement, ou l’interdiction d’embaucher pendant un an. Les syndicats craignent que cette mesure remplace le PSE, plus sécurisant pour les salariés, ou discrimine les seniors.

  • Les indemnités de licenciement

Les ordonnances revalorisent de 25 % les indemnités versées aux salariés licenciés, qui passent d’un cinquième à un quart de mois de salaire par année d’ancienneté. Toutefois, selon un projet de décret, cet avantage est gommé à partir de dix ans dans l’entreprise, puisque l’indemnité reste alors fixée à un tiers de mois par année d’ancienneté. Un salarié licencié parce qu’il refuse un nouvel accord signé dans son entreprise recevra, en plus de ces indemnités, une dotation de cent heures de formation — mais il ne pourra pas contester le motif de son renvoi.

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