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Le projet d’autoroute A69 entre Toulouse et Castres est-il justifié ? 6 questions pour comprendre le débat

Les opposants dénoncent un projet anachronique. Un militant en grève de la faim pour protester contre l’abattage d’arbres a été délogé dimanche.

Par , et  (Toulouse, correspondance)

Publié le 25 septembre 2023 à 12h00, modifié le 25 septembre 2023 à 15h18 (republication de l’article du 19 juin 2023 à 05h46)

Temps de Lecture 7 min.

Thomas Brail et un autre militant dans un arbre face au ministère de l’environnement le 18 septembre.

Alors que le président, Emmanuel Macron, présente l’agenda de la planification écologique lundi 25 septembre, l’exécutif voit resurgir un dossier environnemental épineux : celui de la construction de l’autoroute 69 (A69). Les travaux de construction de cette autoroute, qui doit relier Toulouse à Castres, ont été lancés au printemps, malgré plusieurs recours d’associations environnementales.

Dimanche matin, Thomas Brail, un militant qui était en grève de la faim devant le ministère de l’environnement, a été délogé par la police, dans ce que l’entourage du ministre des transports, Clément Beaune, a présenté comme une « intervention de protection » contre un « danger majeur pour [sa] santé ». L’homme de 48 ans, fondateur du Groupe national de surveillance des arbres (GNSA) et membre du collectif La voie est libre, avait rencontré le 19 septembre le ministre, qui avait confirmé la poursuite du chantier, en promettant de « réduire énormément l’emprise environnementale du projet ». La voie est libre organise lundi à l’Assemblée nationale une conférence de presse pour présenter un « projet alternatif » à l’A69.

L’idée d’origine, en 1994, était d’élargir à deux fois deux voies la route nationale, la N 126, qui assure déjà en grande partie la liaison Toulouse-Castres. Mais, en 2010, les pouvoirs publics ont opté pour une autoroute concédée, privée et à péages : l’A69. La convention de concession, publiée en avril 2022, donne à la société Atosca la mission de construire et exploiter pendant cinquante-cinq ans cette autoroute de 53 kilomètres, dont la mise en service est prévue en 2025. Le coût est évalué à 450 millions d’euros, dont 23 millions d’argent public.

Localement, le projet est controversé : est-ce une « autoroute du XXIe siècle, vertueuse » ou un « symbole de ce qu’il ne faut plus faire » ? Le point sur les principaux arguments développés.

Une autoroute pour désenclaver Castres ?

« Cette autoroute est vitale » pour redonner de l’attractivité au sud du Tarn, où vivent 200 000 habitants, dont la moitié sont installés sur le bassin Castres-Mazamet, selon Christophe Ramond, président socialiste du département. Comme d’autres élus locaux, il s’appuie sur une enquête de la chambre de commerce et d’industrie du Tarn, selon laquelle les créations d’entreprises ont davantage augmenté entre 2013 et 2023 près d’Albi, ville reliée à Toulouse par l’autoroute, que près de Castres.

Pourtant le rapport d’enquête publique sur l’A69 assure qu’« aucune démonstration concrète [d’un impact économique favorable] n’est présentée ni aucun chiffrage évalué » dans le projet. Atosca a, certes, annoncé environ mille emplois, mais seulement au moment des travaux.

Des chercheurs de l’Institut national universitaire Champollion, à Albi, ont récemment dénoncé l’argument de l’emploi en assurant que « les recherches en aménagement du territoire n’ont jamais démontré que la création d’une infrastructure de transport était automatiquement synonyme de développement social et économique pour les territoires concernés ». Maxime Genevrier, professeur d’urbanisme associé à Lettres Sorbonne Université, a expliqué à France 3 que la création de cette autoroute allait « générer des développements, certes, mais à l’extérieur des centres-villes » et que Castres deviendrait « plus qu’aujourd’hui une ville suburbaine de la région toulousaine ».

Jusqu’à trente-cinq minutes de trajet en moins ?

Sur son site, Atosca assure que les trajets entre Toulouse et Castres seront « diminués de vingt-cinq minutes (en heures creuses) à trente-cinq minutes (aux heures de pointe) ». Mais ce gain de temps théorique est basé sur des hypothèses très optimistes.

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Dans l’étude d’impact, la société retient une vitesse moyenne de 128 km/h, disant se calquer sur celle de l’A68 entre Toulouse et Albi. Mais elle ne prend en compte ni les ralentissements éventuels, ni la météo (110 km/h en cas de pluie). A titre de comparaison, l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) estimait la vitesse moyenne sur autoroute à 118 km/h en 2021.

En prenant uniquement les 53 kilomètres de la future autoroute, le gain de temps théorique s’approche plutôt de vingt minutes, selon les différents calculs que nous avons pu réaliser. Pour parvenir à un gain de trente-cinq minutes, la société prend en compte dix minutes de ralentissement au niveau de la zone d’activité de l’entrée de Castres sur l’actuelle N 126 sans considérer que l’arrivée dans Castres par la future autoroute puisse aussi être ralentie, ou que ces nouvelles voies soient engorgées à l’entrée de Toulouse.

Une chose est sûre : les véhicules qui ne veulent pas prendre l’autoroute perdront douze minutes sur le trajet Toulouse-Castres, car les contournements de Soual et Puylaurens, construits dans les années 2000 avec de l’argent public, deviendront payants. Pour conserver le temps de trajet actuel, il faudra emprunter l’A69 sur 11 kilomètres en payant 1,40 euro.

Un trafic trop faible pour une autoroute ?

Depuis des années, les opposants au projet assurent qu’une autoroute n’est pas nécessaire, car l’actuelle N 126 n’est pas congestionnée. L’étude d’impact évoque un trafic « relativement stable sur sa partie centrale », avec en moyenne 8 000 véhicules légers et 700 poids lourds chaque jour, et un peu plus dense « aux abords de Castres avec environ 15 000 véhicules légers et 1 000 poids lourds ». Cela reste un flux modeste par rapport à d’autres villes à proximité : Lourdes et ses 20 798 véhicules ou Albi avec ses 44 729 passages sur la rocade, selon le recensement du trafic en 2020.

Atosca table sur 10 300 véhicules par jour dès la mise en service de l’A69, puis sur 12 000 en 2045, ce qui reste assez faible pour une autoroute. « Celle-ci a d’abord pour objectif de sécuriser les trajets, d’apporter du confort et un gain de temps », rétorque le directeur général d’Atosca, Martial Gerlinger, interrogé par Le Monde. La circulation sur la N 126 serait, elle, en forte baisse avec entre 2 000 et 4 000 véhicules par jour, selon ces projections. A moins que la création d’un nouvel axe entraîne un trafic induit, en augmentant le nombre total d’usagers.

Des alternatives pas suffisamment considérées ?

Les opposants au projet estiment que la route nationale existante aurait pu être réaménagée. En décembre 2016, quinze collectivités (Teulat, Lacroisille, Appelle, etc.) ont réalisé une préétude envisageant plusieurs aménagements de la N 126, comme la création d’une troisième voie à Verfeil (Haute-Garonne), la suppression des carrefours à feux et la création d’un passage enterré à Saïx (Tarn). Le budget était estimé à 179 millions d’euros, soit deux fois moins que le projet actuel. Mais il aurait été assumé par les finances publiques, alors que l’A69 sera financée essentiellement par le privé.

Selon l’enquête publique, « la preuve qu’aucune alternative routière n’était meilleure n’a pas été réellement apportée ». Pour les membres de cette commission indépendante, le choix de l’autoroute « n’est réellement justifié que par l’insuffisance de volonté de l’Etat et des collectivités territoriales à réunir les financements nécessaires à l’aménagement complet de la N 126, pourtant décidé et engagé de 1994 à 2007 ».

Une autre piste évoquée, le renforcement de la liaison ferroviaire entre Toulouse et Castres (une heure dix minutes de trajet), a été balayée dans le dernier arrêté préfectoral autorisant les travaux.

La question environnementale prise en compte dans le chantier ?

« Ce dossier s’inscrit en contradiction avec les engagements nationaux en matière de lutte contre le changement climatique, d’objectif du zéro artificialisation nette et du zéro perte nette de biodiversité », avait aussi conclu le Conseil national de la protection de la nature, en rendant un avis défavorable en septembre 2022. Un mois plus tard, l’Autorité environnementale rendait aussi un avis défavorable, en jugeant le projet « anachronique au regard des enjeux et ambitions actuels de sobriété ». Mais ces deux avis n’étaient que consultatifs.

Au-delà des hausses d’émissions de CO2 liées à la hausse de la vitesse et du trafic, 343 hectares de terres agricoles à fort rendement et de terres naturelles seront artificialisées par le projet. Atosca calcule différemment, en distinguant 110 hectares artificialisés, correspondant à la chaussée en enrobé, et le reste de l’emprise foncière de l’autoroute (talus, merlons, accotements et autres), qualifié de « dépendances vertes ». Des corridors écologiques devraient y être créés, mais ces surfaces auront bien perdu leur usage agricole.

Lire le décryptage : Article réservé à nos abonnés Baisser la vitesse à 110 km/h sur les autoroutes fait-il économiser du CO₂ ?

Atosca a prévu des mesures dites « ERC » (éviter, réduire, compenser) visant à recréer ailleurs les environnements détruits sur une surface quasi équivalente. Mais le rapport d’enquête publique rappelle qu’elles ne pourront compenser « des conséquences lourdes et définitives » du projet, telles que la perte de terres agricoles, l’impact paysager et sonore et la coupure du territoire.

« On est au dernier standard de ce qui se fait en matière d’autoroute aujourd’hui », se défend le patron d’Atosca, qui assure replanter cinq arbres pour chaque arbre « impacté » par le chantier. L’entreprise assume l’abattage de deux cents arbres, mais le chiffre est contesté par La voie est libre. « Le concessionnaire fait référence uniquement aux arbres alignés protégés par le code de l’environnement, avance Thomas Digard, membre du collectif. Atosca oublie de mentionner les arbres des propriétés impactées par l’A69, ceux plantés en bord de ruisseaux et des champs et ceux concernés par l’autorisation de défrichement de l’arrêté préfectoral. Nous serions à un millier d’arbres abattus. »

« Une autoroute pour les riches » ?

Le collectif La voie est libre dénonce « une autoroute pour les riches », en expliquant qu’un aller-retour entre Castres et Toulouse coûtera 17 euros. Pour une voiture thermique, il faudra en effet débourser 6,77 euros pour Castres-Verfeil sur l’A69, auxquels s’ajoute 1,70 euro pour l’A68 entre Verfeil et Toulouse. Soit 8,47 euros l’aller. La future A69 atteint un prix de 12,77 centimes par kilomètre, ce qui la place dans la catégorie des autoroutes les plus chères de France.

Le directeur général d’Atosca, Martial Gerlinger, précise que les véhicules électriques auront une réduction de 20 %. Pour les usagers domicile-travail-domicile, l’abonnement devrait réduire le coût à 11,52 euros par jour ouvré entre Castres et Toulouse, soit environ 230 euros par mois. Le rapport d’enquête publique avait émis des réserves en raison du coût de péage élevé comparé à d’autres trajets vers Toulouse : 4,30 euros depuis Castelnaudary (Aude) en 2022 ou 5,70 euros depuis Pamiers (Ariège).

« Le fait que l’usager supporte la quasi-totalité du financement du projet est injuste », écrit la commission d’enquête, qui recommandait d’abaisser d’au moins un tiers le prix du péage de l’A69, en faisant supporter l’effort « par l’Etat et les collectivités ». Cette réserve a cependant été considérée comme hors sujet dans l’arrêté préfectoral qui a lancé les travaux.

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