« Le Nom sur le mur », d’Hervé Le Tellier, Gallimard, 176 p., 19,80 €, numérique 14 €.
« Tuer quelqu’un, ça compte pour rien. » Ainsi débutait L’Anomalie (Gallimard, 2020). Un million et demi d’exemplaires vendus plus tard, Hervé Le Tellier prend l’exact contre-pied de son prix Goncourt. Pas de science-fiction ni d’exploit oulipien, mais une enquête historique. Aucun vol intercontinental : tout se déroule entre Montjoux et Dieulefit, deux villages de la Drôme distants de 5 kilomètres. Pas question de « tuer quelqu’un » : « En écrivant ce livre, j’ai pu penser à André Chaix vivant, et non mort », note Le Tellier. Il aurait tout aussi bien pu dire : « Ressusciter quelqu’un, ça compte énormément. »
A priori, pourtant, André Chaix n’était rien pour Hervé Le Tellier. Son nom, l’écrivain le découvre en 2020, en retirant des plaques d’émail sur la façade de la maison qu’il a achetée à Montjoux. Ces travaux font réapparaître les lettres gravées sur le crépi, comme un graffiti. Puis Le Tellier repère le même nom sur le monument aux morts du bourg : « CHAIX ANDRÉ (mai 1924-août 1944). »
Qui était cet homme, né il y a tout juste un siècle et disparu à 20 ans ? Les premières pièces du puzzle se mettent vite en place. Fils aîné d’un boulanger de Montjoux, André Chaix s’était engagé dans les Forces françaises de l’intérieur. Il est tombé dans un accrochage avec des chars allemands, avec sept autres résistants. Mais ce qui donne sa force à ce livre extrêmement émouvant, c’est la petite boîte en carton que finit par récupérer Le Tellier. La famille d’André Chaix y avait réuni quelques traces « précieuses et minuscules » du jeune disparu : une carte d’identité, un tract de la Résistance, des lettres, une dizaine de photos, une boîte de bonbons laxatifs.
Un livre politique
Quelques « poussières de vie », et l’inconnu de Montjoux devient soudain une figure décisive pour Le Tellier. Ce résistant prêt à mourir pour son idéal réveille le militant trotskiste quasi professionnel qu’il a lui-même été dans sa jeunesse. Il lui fournit l’occasion d’un de ses livres les plus politiques, les plus engagés contre l’extrême droite. « A regarder le monde tel qu’il va, je ne doute pas qu’il faille toujours parler de l’Occupation, de la collaboration et du fascisme, du racisme et du rejet de l’autre jusqu’à la destruction », clame l’auteur.
Ce qui le bouleverse au plus profond, cependant, relève de l’intime. Le Tellier l’a raconté dans Toutes les familles heureuses (JC Lattès, 2017) : fils d’une mère « folle » et d’un père absent, sans frère ni sœur, il n’a jamais connu la solidité d’une famille aimante. A Montjoux, il voulait s’offrir une « maison natale ». Avec André Chaix, il a trouvé mieux. « André se place pour moi à mi-distance entre l’image d’un père et la réalité d’un fils », avance-t-il.
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