Il fait froid, malgré le feu qui flamboie dans la cheminée. Le soleil de mars inonde la façade dorée faite de cette pierre sarladaise dont le jaune chaleureux resplendit. Collée à la falaise, la maison forte de Reignac, sur la commune de Tursac, en Dordogne, est toujours une tache claire sur le gris par endroits moussu de la roche. Il y a soixante-dix ans, des gens vivaient encore ici, sous ses plafonds de pierre. Il y a vingt mille ans, d’autres y vivaient déjà.
Le lieu, plus insolite château du Périgord, a-t-il beaucoup changé ? Oui, bien sûr, mais l’essentiel est toujours là : cette idée de se protéger en s’enfonçant dans les entrailles de la terre, de bâtir en hauteur, d’utiliser tout ce qui est autour de soi pour créer et protéger son logis, de fondre en un seul lieu la solidité de la nature et l’inventivité de l’homme.
Au magdalénien (entre 17 000 et 14 000 avant Jésus-Christ), ces grottes étaient déjà occupées, comme l’ont montré des fouilles archéologiques commencées en 1952 sous l’égide de l’archéologue Alain Roussot et qui ont mis au jour pierres taillées et pointes de flèches. A partir du Xe siècle, des habitations troglodytes ont commencé à être construites. Au XIVe siècle, la maison forte se dressait. En 1508, les premières fenêtres y étaient percées. Au XVIIIe siècle, le château abritait le seigneur, sa famille, un palefrenier, une chambrière, un valet, une cuisinière et un fauconnier, qui faisait aussi office de maître-chien.
Elle était quasi imprenable : douze bouches à feu étaient installées sur la façade. De la maison dépendait un domaine de 120 hectares où quarante personnes travaillaient dans dix fermes. En 1952, la comtesse de Thy de Milly, ultime occupante, qui s’y chauffait encore au bois, vendit la demeure à un médecin, le docteur Hulin, lequel la cédera ensuite à la ville de Bordeaux.
Aujourd’hui plus grande maison troglodyte de France, la maison forte monte sur quatre étages. Tout en haut, un très impressionnant abri fortifié donne sur le vide. En bas, des moutons paissent, certains s’égarant sur la route et bloquant les rares voitures par leurs atermoiements. La Vézère coule des flots paisibles et limoneux.
Le vol d’un faucon crécerelle
Réservé pendant des siècles à un usage privé, le « château-falaise » se visite aujourd’hui. En 2005, la ville de Bordeaux le vend, et il tombe dans l’escarcelle de Jean-Max Touron. A 82 ans, plus fringant qu’un cabri, montant et remontant les escaliers pentus qu’il pourrait gravir les yeux fermés, le maître des lieux vient tous les jours prendre le pouls du site.
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