La Grande Muette a un visage. Des dizaines, en réalité. Ceux que le photographe français Stéphane Lavoué a saisis dans « Allons enfants ! », série d’images présentée au festival Portrait(s), à Vichy. De jeunes recrues de l’armée française posent seules et graves, en uniforme, face à l’objectif. Elles sont photographiées pendant les manœuvres, dans les vestiaires ou au cours des moments de relâche. Ces anonymes seront un jour des soldats.
Certains sont inscrits au Centre de formation initiale des militaires du rang, à Bitche (Moselle). D’autres, les futurs sous-officiers de la marine nationale, sont à Brest (Finistère). Quant à ceux qui deviendront officiers ou sous-officiers de l’armée de terre, ils apprennent le métier à l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan (Morbihan) et Saint-Maixent-l’Ecole (Deux-Sèvres). D’eux, de leur parcours, origines, aspirations, on ne sait rien. Mais, pour chacun, Stéphane Lavoué s’est posé une question : qu’est-ce qui peut pousser des jeunes vers l’armée ?
Au printemps 2022, le photographe de 47 ans était sélectionné pour la seconde édition de la grande commande photographique voulue par Emmanuel Macron à la suite de l’épidémie de Covid-19, pilotée par la Bibliothèque nationale de France et destinée à offrir une « radioscopie de la France ». Comme deux cents de ses collègues photojournalistes, il a vu son projet de reportage soutenu financièrement, à hauteur de 22 000 euros.
« Des atomes regroupés dans une molécule »
Tandis que certains quadrillaient les banlieues, d’autres les campagnes, Stéphane Lavoué s’est intéressé à l’armée. « En février 2022, la guerre en Ukraine avait commencé. Pour la première fois depuis des décennies, un conflit armé se déroulait en Europe, opposant non pas un Etat à une force terroriste ou à une guérilla, mais à un autre Etat. » La guerre redevenait « classique et proche », dit-il, s’interrogeant : « Qu’est-ce que le mot ‘“engagement” veut dire aujourd’hui ? Comment se prépare-t-on à la guerre après la paix ? »
Il lui a fallu négocier, expliquer sa démarche à une institution fermée, dont le surnom de « Grande Muette » ne doit rien au hasard. Près de trente ans après la suppression par Jacques Chirac de la conscription obligatoire, en 1996, qui représentait une porte d’entrée dans l’armée pour de nombreux jeunes, l’institution s’interroge sur le sens de l’engagement : « Recruter de jeunes Français prêts à s’engager pour leur pays est le premier défi de l’armée de terre », soulignait le général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de terre (et aujourd’hui de toutes les armées) à l’Assemblée nationale, en octobre 2020.
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