C’est un phénomène qui n’est ni genré ni marqué générationnellement ou socialement. Parce qu’il est répandu dans toutes les couches de la population, il est temps de parler de cet épineux problème : les gens qui appuient deux fois sur le bouton de l’ascenseur. Ils ne forment pas un groupe monolithique. On compte parmi eux l’insécure qui ne se fait pas confiance, le pressé qui pense que ça fera arriver l’ascenseur plus vite, l’arrogant qui veut montrer à celui qui avait déjà appelé l’ascenseur que la machine lui répond, à lui, personnellement.
Le phénomène touche aussi tous les appareils : des ascenseurs ancienne génération qui manquent de mémoire aux « ascenseurs intelligents » qui enregistrent les étages et organisent les trajets. Quand ceux-là se font rares entre midi et 13 heures dans les grandes entreprises, certaines personnes vont appuyer plusieurs fois sur la console, sait-on jamais, avec toutes ces demandes, l’ascenseur a peut-être eu un trou de mémoire, tel un serveur de café noyé sous les commandes.
Car les gens qui appuient deux fois sur le bouton prêtent à l’ascenseur des qualités humaines, et peut-être n’ont-ils pas complètement tort. « Avoir confiance dans une cabine fabriquée par des hommes de votre espèce est la pire des choses : une cabine faite par vos semblables, des êtres faibles et sujets à erreur », souligne l’écrivain américain Colson Whitehead dans son premier roman, L’Intuitionniste (Gallimard, 2003), dont l’action se déroule dans le milieu des inspecteurs d’ascenseur.
Les gens qui appuient une deuxième fois sur le bouton détestent d’ailleurs ces ascenseurs intelligents qui ne laissent aucune maîtrise à l’usager une fois entré dans la cabine (quel était l’intérêt d’inventer une machine donnant l’impression qu’on a moins de prise sur les choses ?). En attendant que les directions RSE des grands groupes créent des ascenseurs participatifs en bois d’arbre, où chacun donne un tour de manivelle pour aider son prochain à monter un étage, appuyer une seconde fois sur le bouton offre un moyen de se sentir actif face à une situation sur laquelle on a peu de contrôle.
A quoi on les reconnaît
Ils ne sont pas certains que ça serve à quelque chose, mais ils ne peuvent pas s’en empêcher. Ils se disent que, en appuyant plusieurs fois, la machine va comprendre leur impatience et agir plus vite. Pour la même raison, ils utilisent des formules de politesse quand ils formulent une demande à ChatGPT. S’il y a des boutons « montée » et « descente », ils appuient sur les deux parce que, quitte à aller dans la mauvaise direction, autant être en mouvement. Quand ils sont en retard, ils martèlent rageusement le bouton à deux chevrons qui accélère la fermeture des portes, pour se demander ensuite si leur action a eu vraiment un effet ou si les portes se seraient fermées de toute façon à ce moment-là.
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