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« Et on me demande souvent d’un air gourmand “mais vous vous êtes embourgeoisé, n’est-ce pas ?” (…) Comme si c’était à moi de me sentir mal d’avoir appris sur le tard à aimer le buffet du petit déjeuner des grands hôtels, le cachemire ou les fauteuils design. Comme si je devais personnellement répondre des inégalités du capitalisme, de l’ascenseur social en panne – ou qu’on me frotte le nez dans la merde en ricanant “tu vois que t’aimes ça le luxe, salope de pauvre” », écrit Oscar, l’écrivain fils d’ouvrier au cœur de Cher connard (Grasset, 2022), le roman de Virginie Despentes.
Qu’aurait pensé ce double de Despentes des mille discussions après la « une » de Paris Match consacrée à l’idylle entre Charlotte Casiraghi, fille de Caroline de Monaco, et Nicolas Mathieu, auteur de Leurs enfants après eux (Actes Sud), récompensé en 2018 du prix Goncourt ? Ce n’est pas Monaco qui est sous le choc, mais la France, et en particulier les fans de l’écrivain transfuge de classe. « Même Bourdieu en resterait sans voix », résume l’auteur de polars Michel Embareck sur son compte Facebook, ajoutant, caustique comme toujours : « Ecrire, c’est mentir avec les honneurs dus à la littérature. »
A quoi on les reconnaît
Le décès de son père, les week-ends de garde de son fils, le passage du plombier, ils croyaient partager toute l’intimité de Nicolas Mathieu sur son compte Instagram, sans comprendre qu’il leur manquait une pièce du puzzle. Ils savaient qu’il avait vécu une histoire interdite parce que le romancier l’avait suggéré sur son compte, mais le mystère s’est envolé (« Quand il écrivait “je te veux, tes mains, ton cul” dans Le Ciel ouvert [Actes Sud], c’était elle ? ») Comme des amoureux trompés, ils veulent montrer qu’ils l’avaient vu venir, ressortent des phrases entières d’une vieille interview (« Seule la jeunesse dorée emballait les plus belles meufs. Moi, jai toujours aimé les choses inaccessibles. J’avais le fantasme de la petite-bourgeoise en Barbour », Le Monde en novembre 2019). Ils réécrivent leur histoire d’amour avec l’écrivain en se persuadant qu’ils l’ont quitté depuis un petit moment déjà (« Quand j’ai vu qu’il publiait ses posts Instagram qu’on croyait posés là gratuitement… »). Ils ne peuvent pas s’empêcher de se demander quel sera l’impact littéraire de tout cela (« Finalement c’est un scénario balzacien d’ascension par les lettres… »).
Nicolas Mathieu ne leur avait rien promis, mais, comme ils ne connaissent pas beaucoup d’autres voix de cette France-là, ils ne peuvent pas se permettre d’en perdre une. Ils ont disséqué les photos d’eux près de la gare de l’Est, dans Paris Match, pour savoir si c’était elle qui s’était glissée dans son monde ou l’inverse (« Le café où ils sont s’appelle quand même A la ville d’Epinal », « Tu as vu, ils ont des sandwichs pour le train »…). Ils assurent que chacun est libre et que l’amour est imprévisible, mais ne peuvent pas s’empêcher d’attendre la suite avec encore plus d’impatience qu’un nouvel épisode à Buckingham. « Le porte-parole revendiqué des transfuges de classe peut bien fréquenter qui il souhaite, j’avoue en revanche être très preneur d’une photo de sa bonne amie du côté d’Épinal à côté d’un barbecue en parpaings », écrit le critique – mon cousin – Antoine Faure sur son blog. Ils hésitent entre fustiger le romancier et souhaiter être à la place de la princesse. Ils se plaignent d’être tombés sur l’écrivain de gauche en « une » d’un magazine du groupe Bolloré, mais avaient raté l’information quand elle avait été révélée par Voici, deux semaines plus tôt.
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