« Je n’ai jamais pensé à des choses pareilles : c’est le comble du luxe », assurait Karl Lagerfeld dans une émission de télévision en 2015. Ces « choses pareilles » ? La retraite. Et, de fait, le couturier fut indéboulonnable, au point de présenter son dernier défilé pour la maison Chanel en 2019, à l’âge de 85 ans, un mois tout juste avant d’être fauché par la maladie. Qu’ils travaillent jusqu’au bout comme Lagerfeld ou qu’ils soient poussés vers la sortie par des financiers avides de sang neuf, rares sont les créateurs qui prennent volontairement leur retraite.
Le 19 mars, c’est donc avec un sincère étonnement que le milieu a accueilli l’annonce du départ, à l’âge de 65 ans, du Belge Dries Van Noten, laissant à d’autres le soin de faire vivre son héritage et sa maison. Déjà, l’an passé, les adieux de l’Américain Tom Ford, retiré dans sa villa de Palm Beach à 62 ans, avaient surpris. Mais il est un créateur de leur génération qui semble ne pas vouloir penser à « des choses pareilles » : Marc Jacobs, qui fêtera ses 61 ans le 9 avril. « Je veux continuer à travailler et à m’améliorer », assure-t-il, par un après-midi ensoleillé de mars, de la très cossue petite ville de Rye, face à l’East River dans l’État de New York, dans sa maison signée de l’architecte Frank Lloyd Wright.
Son défilé du 2 février, au Park Avenue Armory, un édifice néogothique new-yorkais, a prouvé à ceux qui en doutaient que l’inspiration n’a pas quitté celui qui officie depuis quatre décennies dans la mode. Quarante-sept silhouettes aux spectaculaires perruques bouffantes, yeux noircis et pailletés, entre héroïne de Broadway et femme au foyer délurée, étaient présentées. Le vestiaire aux formes exacerbées laissait penser que les mannequins étaient de petites poupées.
Cette impression mi-rêve mi-réalité était renforcée par la scénographie. À côté des tables et des chaises à la taille disproportionnée de l’artiste américain Robert Therrien, les mannequins paraissaient minuscules. « Lorsque tout a été en place, on a bien vu que l’excitation submergeait Marc : son œil s’est mis à friser, raconte Alastair McKimm, ex-rédacteur en chef du magazine i-D et styliste qui le conseille depuis 2021. Pour lui, une collection reste un show, un divertissement. Et le but suprême est de créer une atmosphère unique pour dix minutes que vous ne pourrez jamais oublier. » Objectif atteint : la presse mode a applaudi à tout rompre.
Un des créateurs en exercice les plus reconnus
Directeur artistique des collections femme de Louis Vuitton de 1997 à 2013, où il a inventé le prêt-à-porter au sein du malletier, toujours à la tête de la marque qui porte son nom et dont LVMH est actionnaire majoritaire, l’Américain Marc Jacobs compte parmi les créateurs en exercice les plus reconnus au monde. Celui dont la trajectoire concentre les transformations majeures du secteur de la mode, comme la formation des grands groupes de luxe au tournant du millénaire, le rôle des célébrités dans la communication ou encore les liens avec l’art contemporain… Pour autant, il se situe moins au cœur du réacteur que par le passé.
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