Chaque nuit, le réveil sonnait, cruel, à 3 h 45. Commençait alors une préparation hors norme. « Comme un rituel pour entrer dans le personnage », assure Nadia Tereszkiewicz, qui ne tient pas rigueur à la réalisatrice Stéphanie Di Giusto du manque de sommeil qui lui a été infligé sur le tournage de Rosalie, en salle le 10 avril. Quatre heures trente de « poil à poil », des poils collés un par un sur les joues et le menton par des visagistes pour constituer une barbe généreuse, deux heures de coiffure tout en hauteur, parfois piquée de fleurs, une bonne demi-heure pour enfiler la robe corsetée…
Et voilà qu’elle arrivait sur le plateau en femme à barbe, quelque part dans la campagne française vers 1870, tour à tour affranchie et humiliée. « Me voir aussi poilue m’a déplacée, m’a dérangée. J’étais dans un double combat : m’accepter ainsi et faire accepter Rosalie en parallèle, reconnaît, un matin gris de mars, la comédienne franco-finlandaise aux origines polonaises. Et une fois que cela a été fait, j’ai passé le cap, j’allais à la cantine à la cool, en jogging avec ma barbe… »
Encore un personnage à la trajectoire extraordinaire comme les affectionne Nadia Tereszkiewicz. Ces quatre dernières années, la jeune actrice au phrasé délicat et au profil botticellien a multiplié les premiers rôles dans le cinéma francophone, de Fabienne Berthaud à Monia Chokri en passant par Robin Campillo, assumant avec panache des destins féminins souvent meurtris.
« Un peu décalée »
Femme accusée d’avoir tué son époux le jour de son mariage dans la série de Canal+ Possessions, apprentie comédienne incandescente et endeuillée dans Les Amandiers, de Valeria Bruni Tedeschi, actrice espiègle soupçonnée d’un assassinat dans Mon crime, de François Ozon… « C’est pour ce type de destinées qu’on me recrute, réalise-t-elle. En vérité, la jeune femme d’aujourd’hui qu’on aborde dans un bar et qui fume des joints, c’est beaucoup plus compliqué pour moi à jouer… J’ai toujours été un peu décalée. »
A la ville, Nadia Tereszkiewicz a la foi. Elle porte le prénom d’une héroïne d’Anton Tchekhov, dit avoir vu « trop tôt » les films d’Ingmar Bergman, s’est éprise très tôt de Marcel Proust, Heinrich von Kleist et Léon Tolstoï… Comment, après ça, ne pas avoir le goût du romanesque ? « A 18 ans, j’avais la sensation très violente d’avoir raté ma vie », dit-elle aujourd’hui, à 27 ans. Après une enfance cannoise absorbée par la danse, « huit heures par jour pendant quinze ans, sans vacances », elle échoue douloureusement à intégrer les compagnies classiques qu’elle convoitait, de Toronto à Stuttgart, de Londres à Hambourg. « J’avais l’impression que tout était fini. »
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