Un des plaisirs trop méconnus de l’existence consiste à fréquenter les groupes Facebook de partage de créations faites à partir de récupération et d’objets détournés. Un rideau en dosettes de café écrasées, un range-couteaux réalisé à partir d’une chope à bière et de spaghettis, des bijoux en nid de frelon asiatique, une horloge construite dans une boîte de saint-nectaire… Quelle imagination ! Quel talent !
Sous chaque publication partagée, des bravos, des encouragements, des odes à la créativité… Mais aussi des remarques venues d’une autre catégorie de population : ces gens qui ne sont pas convaincus par le résultat, qui ne l’auraient pas fait comme ça, qui ont déjà fait mieux ou qui affirment qu’ils préféraient l’objet transformé dans son état d’origine.
A quoi on les reconnaît
Ils n’ont probablement pas beaucoup de temps pour bricoler, vu celui qu’ils prennent pour expliquer à des créateurs sur un groupe Internet comment ils auraient pu mieux faire. Ils déclarent à celui qui a fabriqué un objet qu’il n’a pas respecté les bonnes contraintes. « N’oubliez pas qu’un porte-clés doit être léger », disent-ils à celui qui a utilisé une petite cuillère et un roulement à billes. « Faites attention au type de palette employé, certaines sont traitées aux produits toxiques ! », rappellent-ils à celui qui en a fait une tête de lit.
Ils se posent en expert de la sécurité (attention aux ampoules qui risquent de provoquer un incendie, aux parasites qui attaquent le bois, vous ne craignez pas que l’armoire bascule ?).
« C’est une belle réalisation », écrivent-ils immanquablement, mais il y manque quelque chose : les accoudoirs au fauteuil, les pieds à l’étagère, un ruban autour du paquet… Ils ont toujours une alternative pour expliquer au créateur que ça aurait pu être mieux : celui qui a bricolé un lampadaire en passoires n’a pas choisi les bonnes ; celui qui a cousu un carré péruvien au dos d’un sweat-shirt aurait dû le mettre au dos d’une veste en jean oversized. Eux auraient enlevé les portes du placard, ajouté du vernis, changé le carrelage. On les soupçonne même d’aller sur le site de Marmiton pour signaler qu’ils ont remplacé le lapin par du poulet et les pruneaux par du maroilles et que c’est très bon aussi.
Ils conseillent d’arrêter de fumer à celui qui poste des photos de cendriers recyclés, d’aller chez le dentiste à celui qui utilise des bonbons dans une décoration, et s’inquiètent systématiquement pour l’hygiène. Mais surtout, alors que le groupe est consacré à de la création à partir de récup’, ils poussent toujours les hauts cris à l’idée que l’intégrité de l’objet de départ n’ait pas été respectée – ainsi, à celui qui a transformé un appareil photo en lampe, ils balancent : « Désolé, mais, comme je suis photographe, ça fait mal » – et ils brocardent régulièrement l’utilisation détournée de vieux livres comme un signe du manque de respect envers la culture (« Quelle triste fin pour un livre ! »).
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