Tout a commencé en été lorsque, au creux des vacances, « à partir de l’âge de 13 ou 14 ans », ils venaient donner un coup de main, comme le faisaient leurs parents, leurs oncles et leurs cousins. D’abord des tâches secondaires : surveiller une machine, nettoyer le sol, plier des boîtes à chaussures. Puis ils ont étoffé leur savoir-faire, sont restés, ont repris l’entreprise familiale, le flambeau bien en main. Chez les Kero, on est, de génération en génération, tanneur de peau de renne et fabricant de chaussures, de chaudes bottes « à bec », légèrement rebiquées au niveau des orteils. Aujourd’hui, Emma, 43 ans, et Tomas, 53 ans, les petits-enfants de Yrjö, qui a fondé l’activité en 1929, mènent la barque.
L’affaire familiale se situe à Sattajärvi, un hameau perché dans le nord de la Suède, à deux pas de la frontière finlandaise. « Le village s’est bâti près du lac du même nom, un beau plan d’eau allongé qui a la forme de la carte de la Suède, décrit Tomas Kero. À 80 kilomètres au nord du cercle arctique, nous avons le soleil de minuit en été et de sombres journées en hiver. » Dans ce décor polaire, la tannerie a été un employeur local important et l’endroit est, souligne Tomas Kero, « l’un des rares villages dont la population ne diminue pas ». Ces dernières années, une piste de ski, une plage et une église y ont été aménagées.
La faillite évitée de justesse
Tomas et sa sœur Emma ont grandi dans une maison située « à 100 mètres » de la tannerie familiale. « J’aimais m’y rendre après l’école et discuter avec les gens qui y travaillaient », se souvient Emma. Son frère, lui, attendait la récréation pour filer dans l’atelier familial. Il y entre professionnellement en 1987. « Il fallait de la main-d’œuvre et je pensais que cela serait temporaire. » Mais il s’y plaît. Responsable des teintures, il devient commercial, puis PDG en 2005.
C’est l’époque turbulente de la transition. La deuxième génération – celle de leur père, Sven-Olov, et de ses six frères – leur passe la main ainsi qu’à leurs cousins, mais « la récession frappait alors l’industrie du cuir », rappelle Emma. L’affaire frôle la faillite. « Sous les conseils de consultants et de banquiers, nous avons décidé de diviser l’entreprise en deux : la tannerie d’un côté, la fabrication de chaussures de l’autre, pour que chacun se concentre sur son cœur de métier. » Efficace.
Même si Kero reste de taille modeste, « aujourd’hui, les deux entités sont prospères ». Elle est chargée de l’activité des chaussures. Lui supervise le tannage dont « le processus complet prend de dix à quatorze jours », explique-t-il. Une fois nettoyées, les peaux de rennes passent par un tannage végétal (une teinture), le tout parfois doublé d’une finition pour protéger contre l’usure et les poussières. Veillant à poursuivre un savoir-faire bientôt centenaire, l’un et l’autre travaillent côte à côte. « On échange sur tout ce qui peut concerner l’entreprise », assure Emma Kero. Et son développement. À l’automne prochain, ils signeront ainsi une collaboration avec Acne Studios, la plus célèbre des griffes de mode suédoises.
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