Il est facile pour un jeune créateur de mode de se laisser décourager. Dans une fashion week de Paris saturée de défilés et de présentations, seul un propos artistique détonnant peut vous singulariser. Sinon, critiques et acheteurs laissent généralement tomber leur jugement : « déjà vu ! », « rien de nouveau sous le soleil », « Martin Margiela l’avait déjà fait, et en mieux ! » Dans la nouvelle édition de la Semaine de la mode féminine automne-hiver 2024-2025, qui se tient à Paris du 26 février au 5 mars, Yusuke Takahashi et Duran Lantink, défricheurs et originaux, promettent d’éviter ces sentences.
Le premier a ouvert le bal dès le 26 février. Au Palais de Tokyo, pour son premier défilé au calendrier officiel, il a dévoilé, sur les grincements angoissants d’un quatuor à cordes façon film d’horreur, une collection de vêtements versatiles, souvent superposés. « J’avais envie de puiser dans le vestiaire sportif, explique le Japonais de 38 ans qui a fondé sa marque, CFCL (pour Clothing For Contemporary Life), en 2020. J’ai beaucoup regardé de tenues de sports nobles, aristocratiques, l’escrime, l’équitation, le ballet, en allant voir notamment l’exposition “Mode et sport”, au MAD, à Paris. »
Revu à sa manière pragmatique et technophile, cela donne une garde-robe graphique en maille plissée, noire, grise, blanche ou rouge, et pratique, moins tournée vers la compétition que vers l’aisance du corps. Il a ainsi fait développer des vestes aviateur, des bombers ou des robes bicolores à l’aide d’un programme informatique : en polyester recyclé, ces vêtements épatants s’avèrent sans aucune couture, extensibles afin de pouvoir s’adapter à toutes les morphologies. Le soir tombé surgissent des tops ou robes à basques, tricotées avec du Lurex, ou un costume piqué de gros sequins noirs.
Gonflées à l’hélium
Duran Lantink, Néerlandais de 36 ans qui défilera samedi 3 mars, regarde du côté du ski. « Je pratique plutôt le snowboard, mais j’ai essayé d’imaginer une échappée à Saint-Moritz ou à Gstaad pour des gens qui soient à la fois prêts à descendre les pistes et à boire du vin au restaurant », lance-t-il dans un sourire. Pantalons, vestes de ski et mailles en pagaille devraient lui permettre cette saison, espère-t-il, de « perfectionner [son] écriture ».
Son vocabulaire fait sensation depuis un an parmi les stylistes des magazines et les acheteurs des boutiques exigeantes. Transparences osées et jeux de rembourrage font naître des robes et vestes courtes comme gonflées à l’hélium, très reconnaissables, ou des fourreaux sculpturaux côté pile qui peuvent se porter, côté face, les fesses à l’air…
« Ce qui m’intéresse, c’est de chercher de nouvelles formes, de rendre romantique la façon dont on s’habille », explique Lantink. Tout en défendant une démarche de réemploi de matériaux : « de 80 % à 85 % » de sa collection devrait être façonnée à partir de tissus récupérés (dont, promet-il, une « parka vintage hybride » à partir de vieilles tenues Margiela et Loewe), le reste, neuf, provenant de laine irlandaise ou de doublures.
Yusuke Takahashi, de CFCL, lui, fait confiance à ses techniques sophistiquées façon impression en 3D pour réduire la quantité de déchets textiles, utilise une majorité de matériaux recyclés (laine et cachemire mis à part) et se targue d’avoir été certifié « B Corp », label pour les entreprises qui font cohabiter objectif lucratif et conscience environnementale et sociale. Autant d’efforts de la part de chacun qui ajoutent à leur charme… « Quand on veut repenser des classiques, glisse Duran Lantink, autant le faire le plus vertueusement possible, non ? »
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