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Paris Fashion Week : quand les créateurs passent leur tour

Les directeurs artistiques sont de plus en plus nombreux à sauter une saison, pour économiser le coût d’un défilé ou prendre le temps de la réflexion. Un choix désormais mieux accepté, mais qui peut se révéler risqué.

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Publié le 01 mars 2024 à 14h00, modifié le 01 mars 2024 à 15h14

Temps de Lecture 3 min.

Ester Manas.

En débarquant le 27 février au défilé Ester Manas, les invités ont trouvé sur leur siège de touchantes attentions. Des cartes postales ou des bristols avec, partout, le même message manuscrit : « Missed you ! » (« vous nous aviez manqué ! »). C’est que le couple derrière la griffe, formé par Ester Manas et Balthazar Delepierre, faisait son retour à la Semaine de la mode de Paris après avoir volontairement fait l’impasse sur la saison dernière. « Quand on est une marque émergente, on est designer 20 % du temps. Pour le reste, on s’occupe de stratégie commerciale et d’administratif, témoigne Ester Manas. Là, on a pris du recul pour dessiner, renforcer notre vestiaire et se projeter dans l’avenir. »

Aller et venir à la fashion week ? Jusqu’ici, sauter une saison de défilés était toléré pour cause de passage de relais entre deux directeurs artistiques, ou, pour les cas extrêmes, de designer en burn-out ou de trésorerie en souffrance. « Mais sitôt qu’un créateur s’absentait, on entendait partout dans le milieu : “c’est fini pour lui”, rappelle Sophie Brocart, responsable du tutorat des vainqueurs du prix LVMH pour les jeunes créateurs de mode. Aujourd’hui, se retirer un moment est de mieux en mieux accepté, et c’est sain. »

C’est le cas, pour les collections automne-hiver 2024-2025 à Paris, de marques comme Etudes ou Y/Project, cette dernière indiquant que le montant du show annulé servira à « la croissance de l’entreprise, ses équipes et son offre de produits ». Plutôt que de dépenser deux fois par an 50 000 euros au minimum pour dix minutes de spectacle, certains préfèrent se contenter d’une vidéo ; d’un look book (portfolio de photos) envoyé aux professionnels, comme l’a fait Y/Project ; ou d’une présentation plus confidentielle lors d’un rendez-vous privé moins onéreux, ce qu’ont choisi cette saison Peter Do et Bianca Saunders.

A l’inverse, revoilà sur le podium Off-White, label qui était en retrait la saison dernière. « We are back ! », triomphe le directeur de l’art et de l’image de la griffe, Ibrahim Kamara, dans sa note d’intention. Au Carrousel du Louvre, sur un décor pop en forme de jeu de l’oie géant, avec deux dés XXL en strass au centre, le styliste a proposé, le 29 février, un grand mélange racoleur, inspiré par la culture afro-américaine : denim effilé ou bordé de perles ; cuissardes en cuir alliées à des blousons teddy ; polos de rugby à strass et sacs filets pour trimballer le ballon de basket ; vestes de crâneur, à damiers, couvertes d’étoiles, piquées de papillons en relief…

 Off-White.

Le défilé a été applaudi par la championne de tennis Serena Williams, l’actrice Halle Bailey ou la chanteuse Willow Smith. Signe que les sommes économisées sur le show enjambé il y a six mois ont pu être réinvesties dans la présence de célébrités au premier rang, toutes s’inclinant devant Kamara en coulisses dans une atmosphère qui flairait bon la joie de revenir dans le jeu.

C’est que renoncer à une présentation ne se fait pas sans douleur. « Quand vous avez le réflexe du défilé et que vous êtes pris dans la course effrénée de la mode, c’est vrai qu’il faut se sevrer », admet Aurélien Arbet, cofondateur du collectif de mode masculine Etudes, qui a passé son tour lors de la dernière fashion week homme de Paris, en janvier. « Vous avez l’impression d’un grave oubli, du genre : “ai-je bien fermé le gaz ?” », compare drôlement Balthazar Delepierre.

Trenchs militaires et ponchos en maille

A Londres, l’Américain Conner Ives, 28 ans, a carrément pris le parti de ne défiler qu’une fois par an, comme le 18 février, où il a dévoilé une garde-robe pour cow-girl affranchie, sous influence années 2000. « Pour une marque modeste comme la mienne, faire deux défilés par an n’a pas de sens financièrement et émotionnellement. Et à quoi bon défiler si cela ne semble pas mesuré et sacré ? », argue-t-il.

« Sauter une saison peut aussi devenir un piège, nuance Serge Carreira, directeur des marques émergentes à la Fédération française de la haute couture et de la mode. Rapidement, les acheteurs des grands magasins peuvent réduire leurs commandes ou vous éconduire. La presse risque de se désintéresser de vous et de regarder ailleurs. Le plus important, c’est donc de savoir revenir plus fort. »

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C’est ce qu’a réussi le Britannique Steven Stokey-Daley. Pendant qu’il s’absentait des podiums pour le printemps-été 2024, ce designer de mode masculine, vainqueur du prix LVMH en 2022, a pris le temps de sécuriser l’investissement financier d’un proche, la star de la pop Harry Styles, devenu actionnaire minoritaire, pour mieux faire son retour lors d’un défilé à Florence, en Italie, début janvier. Très applaudi après des mois d’absence, il a alterné lors de son show trenchs militaires, ponchos en maille et tenues champêtres d’écoliers.

La Française Ester Manas et le Belge Balthazar Delepierre, fraîchement mariés, ont, eux, su mettre à profit leur temps et une dotation de 100 000 euros remportée en juin 2023 lors du concours de l’Association nationale pour le développement des arts de la mode pour leur propos dans une collection réussie et réjouissante, facile d’accès et présentée sur une diversité de morphologies − quand la maigreur triomphe quasiment partout ailleurs. Blousons de motard et trenchs zippés très sexy en cuir, doudounes courtes, robes en maille moulantes aux découpes soulignant la poitrine, ou transparentes et parcourues de froufrous, se portent avec des sacs froncés et des lunettes futuristes.

« Nous avons eu le temps d’analyser plus profondément les besoins vestimentaires des filles qui nous inspirent, assure le couple, sourire jusqu’aux oreilles. Ces retrouvailles, c’était notre cadeau pour elles. Comme vous offririez à un être aimé, que vous n’avez pas vu depuis un moment et qui vous a manqué, des fleurs, des chocolats ou un câlin. »

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