Depuis que la mode use du surcyclage – ou upcycling, en anglais, un recyclage qui apporterait un supplément d’âme –, elle lui adjoint en général des teintes sobres, une esthétique dépouillée, des discours moralisateurs ou des autosatisfecits de premier de la classe.
A rebours de tout ça, vogue Kevin Germanier. Avec son label, Germanier, lancé en 2019 et qu’il fait défiler à la Paris Fashion Week, ce Suisse de 31 ans a montré qu’on pouvait récupérer des matériaux et les retransformer en tenues multicolores et scintillantes pour héroïnes excessives, mi-créature kawaï, mi-monstre marin.
Il use, pour cela, de sequins récupérés dans des stocks dormants de Shanghaï ou de Shenzen, de plumes d’autruche ou de faisan inutilisées trouvées dans des cabarets parisiens, de perles invendues ou de fleurs en plastique de Hongkong, de denim vintage de Thaïlande ou de vieille laine acrylique de Suisse.
Fourrure de sacs plastique
Né à Granges, près de Zermatt (canton du Valais), en « mille neuf cent nonante-deux », gamin timide et rêveur, il grandit en drapant des étoffes sur les poupées de sa sœur ou des serviettes de bain et des rideaux pour habiller Samuel, son petit frère. Passé par la Haute école d’art et de design de Genève, il entre, en 2013, à la Central Saint Martins, l’une des plus grandes écoles de mode anglaises. Il y fait des expérimentations à partir d’anciennes taies d’oreillers découpées et recousues, de broderies de perles fluo récupérées, de sacs plastique des supermarchés Tesco lacérés puis recomposés en fourrure.
« Bien sûr, le recyclage ou la réparation n’avaient rien de nouveau : ma grand-mère cousait une fleur sur son uniforme d’église en velours plissé il y a plus d’un demi-siècle et, enfant, ma mère collait toujours ces horribles patchs Schtroumpf sur mes pantalons éraflés. Pourtant, à Londres, à cette époque, malgré l’influence de Vivienne Westwood et la culture de la fripe des Anglais, ce n’était pas si bien vu de créer avec du vieux. »
Systématiquement, ses collections étudiantes se révèlent « grises, noires ou beiges », se souvient celui qu’on n’a jamais vu habillé autrement qu’en noir et dont l’appartement parisien est aujourd’hui, plaisantent ses amis, fait de « cinquante nuances de beige ». Mais quand il arrive en master, il opère un changement. « Pour la collection de fin d’études, j’ai voulu me surpasser, me mettre en danger, reprend Germanier. Je me suis fixé pour consigne de ne travailler que du coloré et du brillant. J’ai eu raison : ce qui me faisait peur m’a rendu meilleur. »
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