Sur les envolées dramatiques de la Danse des chevaliers, extraite du Roméo et Juliette (1935) de Prokofiev, de jeunes mannequins avancent le visage fermé. En cet après-midi de janvier, ils ont revêtu, pour le défilé Dior Men automne-hiver 2024-2025, des manteaux croisés à rayures, des mini-shorts en laine à la longue braguette zippée, des turbans sophistiqués, des capes en brocart ou toile de Jouy… A leurs pieds, des ballerines, en cuir ou en satin matelassé, dotées ou non d’un élastique croisé sur l’avant. « Nous avons retravaillé ce chausson de danse dans un volume plus masculin, en hommage à Rudolf Noureev, qui a croisé mon histoire personnelle, puisque mon oncle, Colin Jones, lui aussi danseur, a été son ami et l’a photographié », indique Kim Jones, le directeur artistique homme de la maison française.
Des hommes en ballerines ? C’est la nouvelle tocade de certaines marques de mode, de Balenciaga à Thom Browne, de MM6 Maison Margiela à Dries Van Noten ou Bode, qui en a fait une signature. En France, Lemaire, qui proposait pour le printemps-été 2023 un modèle en cuir Nappa noir relevé d’une bride à boucle, a jugé bon de renouveler sa production pour le printemps-été 2024.
Dérivées des souliers à talon pour les bals de l’Ancien Régime, les pointes apparaissent en Occident, aux prémices du XIXe siècle, d’abord aux pieds des danseuses, leur permettant de se hisser pour allonger le corps à l’extrême. Une technique « historiquement liée à la performance, à l’Opéra de Paris, de Marie Taglioni dans La Sylphide en 1832 », resitue la chercheuse Mélodie Le Lay dans le catalogue de « Marche et démarche. Une histoire de la chaussure », exposition organisée au Musée des arts décoratifs en 2019.
« Une offre de niche »
Mais, au milieu du XXe siècle, ce chausson de scène s’invite à la ville, à plat. Tandis que, aux Etats-Unis, le fabricant Capezio en façonne des paires raffinées pour la styliste Claire McCardell, en France, Rose Repetto, ouvre, en octobre 1947, un atelier qui fournit l’Opéra de Paris. La légende a beau avoir surtout retenu la ballerine Cendrillon, imaginée pour Brigitte Bardot en 1953 et aperçue dans Et Dieu… créa la femme (1956), de Roger Vadim, « le tout premier chausson de danse Repetto a été créé pour un homme, le fils de la fondatrice, le danseur étoile Roland Petit, rappelle-t-on au sein de la marque. Elle avait mis au point pour lui un chausson d’une extrême souplesse qui épousait les mouvements pour ses pieds douloureux, selon la technique du cousu-retourné », une couture réalisée sur l’envers avant d’être remise sur l’endroit.
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