Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Haute joaillerie : les pierres sur tous les tons

Des parures arc-en-ciel d’Hermès aux torques en émeraude de Piaget, les luxueuses pièces présentées à Paris, du 24 au 27 juin, ont fait la part belle aux gemmes de toutes les couleurs.

Par 

Publié le 02 juillet 2024 à 16h00

Temps de Lecture 5 min.

Collier tubogas en or jaune, émeraudes, rubellites et diamants, de Bulgari.

« Un des écueils de la haute joaillerie, c’est de proposer une harmonie limitée aux pierres précieuses : blanc du diamant, bleu du saphir, rouge du rubis, vert de l’émeraude. Ce qui peut être exaltant, c’est d’aller vers d’autres nuances. » Le constat, articulé par Pierre Hardy, directeur de la création haute joaillerie chez Hermès, résume le ton de la saison. Fantaisies multicolores, quête de pierres acidulées ou, à l’inverse, réduction maximale au noir et blanc : du 24 au 27 juin, place Vendôme, à Paris, une quinzaine de maisons de luxe ont affûté les coloris dans leurs nouvelles collections. Des séries de bijoux aux tarifs démentiels mais fabriqués à la main en atelier à partir d’or et de gemmes, et qui constituent, pour les esthètes, « l’expression suprême de la vision artistique de chaque joaillier », comme le formule Charles Leung, PDG de Chaumet.

Saphirs bleu glacier, aigues-marines lagon, améthystes ultraviolettes, spinelles cerise, diamants jaune vif : chez Tiffany & Co., la structure habituelle platine-or jaune sert à valoriser des gemmes qui, par leurs tons tranchants, ne passent pas inaperçues. Comme de coutume depuis que LVMH a racheté la maison, en 2019, l’héritage de Jean Schlumberger, joaillier très coté qui a œuvré de 1956 à la fin des années 1970, est exploité dans le design. On retrouve ses motifs typiques de plumage majestueux ou de flammes et, bien sûr, de nouvelles itérations de sa fameuse broche Bird on a Rock, un oiseau posé sur une monumentale pierre taille émeraude. Aussi efficace qu’attendu.

Gucci, qui n’est arrivé dans la haute joaillerie qu’en 2019 et dont l’approvisionnement en gemmes n’était pas le point fort, dégaine du gros morceau rayonnant, avec une tourmaline verte de 26 carats, une tanzanite indigo de 60, une aigue-marine de 62, une opale taillée en poire aux reflets disco… Les tailles en forme de cœur et les motifs feuillage de jardins italiens demeurent. Et, avec de nouvelles pièces dont l’ossature anguleuse s’inspire d’un labyrinthe – dans lequel on peut aussi distinguer le « GG » de Gucci, pour le plus grand bonheur du service marketing –, la marque de Kering muscle doucement son jeu.

Le Londonien Graff, nec plus ultra des collectionneurs fortunés, se concentre, lui, sur les pierres précieuses, montées avec classicisme : rubis vermillon, émeraudes menthe à l’eau, diamants jaunes allant du pastel au « fancy » (foncé).

Collier en or blanc et platine, quartz rutile, diamants, perles de pierre de lune, spinelles, calcédoine, chrysoprase, quartz rose et tourmaline, d’Hermès.

Le nuancier qui en met plein les yeux ? Bulgari s’en fait une spécialité clivante, qui ravit les amateurs de tons chaleureux ou fait tourner de l’œil ceux qui y sont allergiques. La collection de son 140e anniversaire ne fait pas exception. Collier fleur de lotus en billes de turquoise, améthystes, rubellites et émeraudes ; parure orientaliste aux coussins de saphirs d’un bleu égyptien ; chaîne tubogas soutenant une énorme émeraude de Zambie gravée ; grenats mandarins orange vif et citrines jaune safran serties en alternance pour suggérer un lever de soleil… Le clou du spectacle est un collier en vague tout en diamants blancs : 140 carats, 2 800 heures de travail et 40 millions d’euros, indique Bulgari avec son goût des superlatifs.

L’attrait de Piaget s’était un peu fané au cours des dernières saisons : pour ses 150 ans, la maison suisse assume un millésime réjouissant, généreux et hédoniste. « Nous avons souhaité nous inspirer du patrimoine en insistant sur nos signatures : les chaînes très travaillées, le mélange entre pierres fines et pierres dures, le traitement de l’or, qui peut être martelé, ciselé, gravé, froissé… Et renouer, surtout, avec un esprit affranchi, une douce extravagance », commente la directrice artistique, Stéphanie Sivrière. D’un collier-cravate en or jaune « décor palace » (finement strié) et perles de turquoise à un torque en émeraude et quartz rutile, en passant par des plaques d’opales bordées d’or torsadé pendantes sur le décolleté et des montres joaillières aux cadrans ultrasertis, tout flaire bon la flamboyance et l’insouciance des années 1970.

C’est cette gaieté et cette nonchalance seventies que Mellerio, le plus ancien joaillier indépendant français, fondé en 1613, encapsule aussi, à sa façon, dans une médaille massive en forme d’étoiles superposées. Sa surface, mi-polie, mi-sablée, est incrustée de pierres multicolores. « Un homme ou une femme pourrait tout à fait porter ça torse nu et tongs aux pieds, en festoyant sur la plage », s’enflamme le directeur général, Christophe Mélard.

Sable compacté et imprimé en 3D

« Lorsque j’ai décidé de consacrer une collection à l’eau, j’ai su que ce ne serait pas celle des Maldives, dit au contraire Claire Choisne, la directrice des créations de Boucheron. J’ai choisi celle de l’Islande, où j’ai voyagé, et ai eu envie d’une collection comme un instantané de paysages. » Le résultat, concis et maîtrisé, se révèle d’une beauté stupéfiante, entièrement épurée au noir et blanc. Les plages de sable noir deviennent un torque pavé sur une structure de véritable sable compacté et imprimé en 3D, ou se retrouvent évoquées dans un bracelet sur lequel s’épanouit une impression à l’eau-forte ou sur des boucles taillées dans un marbre ariégeois.

L’eau – ou l’« or bleu », comme Boucheron nomme la collection – est représentée dans tous ses états : en cascade (un collier comme un long trait d’or blanc de 1,48 mètre et pavé de 1 373 diamants), en iceberg (une parure en gouttes volumineuses de cristal de roche dépoli), en stalactites (une broche d’épaule tout en coulures de perles et de diamants), en éclaboussures (deux broches en aluminium et palladium pavés qui se posent sur les épaules comme des ailes d’ange) et, bien sûr, en vagues (une manchette d’obsidienne). Preuve que l’épure totale peut payer autant que la débauche de teintes.

Newsletter
« Le goût du Monde »
Voyage, mode, gastronomie, design : le meilleur de l’art de vivre, dans votre boîte e-mail
S’inscrire

Chanel, pour qui le noir et blanc forme une combinaison identitaire, s’aventure cette saison en dehors de son terrain minimal et BCBG. Après avoir traduit le tweed en joaillerie dans des tons pastel, le directeur du studio, Patrice Leguéreau, choisit pour thème le sport, son allure et son décorum, ce qui l’autorise à embrasser des couleurs primaires et pétillantes, aussi éclatantes que des maillots d’athlètes. Les colliers et boucles à œillets et chaînes qui imitent des cordons de serrage de hoodies sont relevés de rubis groseille, de diamants et de laque bleu et rouge façon drapeau français.

Les plastrons ou bagues grillagés esquissent des « 5 » laqués dans une graphie de chronomètre. Les bijoux dotés de fermoirs en forme de mousqueton mélangent émeraudes et aluminium vert, tandis qu’une manchette confronte rubis profonds, diamants blancs et carbone, cette fibre noire qui compose habituellement les raquettes de tennis, les crosses de hockey ou les prothèses des athlètes en situation de handicap.

Enfin, Hermès épouse l’arc-en-ciel tout entier dans une cinquantaine de pièces détonantes. « Dans la collection précédente, j’avais exploré l’ombre et la lumière. Cette fois, je voulais prendre le contrepoint, élargir le spectre », explique Pierre Hardy. Lui qui d’ordinaire se vit plutôt « en formaliste », dessinant et faisant exécuter ses intentions, a laissé davantage les pierres le guider. On déniche ainsi des tanzanites ou des améthystes bordées d’une succession d’ondes pavées de couleurs. Suivent des parures arc-en-ciel, d’élégantes boucles d’oreilles monochromes imitant une coulure de peinture ou des broches verticales aux gemmes comme pixélisées « à la manière des néons ou des feux que l’on voit de loin dans la nuit ».

Pierre Hardy réinterprète des codes maison (têtes de cheval gravées ; fermoirs chaîne d’ancre ; mini-sacs Kelly en or et pierres), mais flirte aussi avec des théories scientifiques. La diffraction de la lumière en ondes colorées, comprise en 1660, se voit traduite dans un collier où perles de pierre de lune et de spinelle noir relient un triangle central de platine d’où dévalent des perles multicolores. Les hypothèses sur la forme des couleurs de Kandinsky ? Les voilà concrètement appliquées sur des bagues cocktail ultragraphiques. Comme le théorisait le peintre russe dans Point et ligne sur plan (1926), le rouge est ici de forme carrée, le bleu rond, le jaune triangulaire… Et les pierres aux teintes fruitées ou pastel pas moins poétiques que les pigments d’une huile sur toile.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Contribuer

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.