L’obscurité a enveloppé depuis quelques heures les Blue Mountains, à l’ouest de Sydney, quand, une nuit de janvier 2020, Sarah Hyde, pompière volontaire, se réveille, en sursaut. Par la fenêtre, elle aperçoit les camions rouges de sa brigade. Ils l’attendent, toutes sirènes hurlantes. Immédiatement, elle enfile la lourde veste jaune de son uniforme, son pantalon, met son casque et se précipite dans la rue. « Et là, rien. Il n’y avait rien. Pas de véhicule. Pas d’incendie. J’étais seule : une folle, au milieu de la route », se remémore-t-elle, trois ans et demi plus tard, les yeux inondés de larmes à la simple évocation de cette hallucination.
Les mégafeux qui, entre octobre 2019 et février 2020, ont ravagé l’île-continent n’en finissent pas de hanter ses habitants : la jeune orthophoniste est toujours aux prises avec le syndrome de stress post-traumatique dont elle souffre depuis que, le 15 décembre 2019, elle s’est retrouvée piégée par les flammes, l’une d’elles grimpant le long de son dos jusqu’à embraser sa longue chevelure.
Cet été-là, le « Black Summer », comme l’ont surnommé les Australiens, l’« été noir », des centaines d’incendies ont déferlé sur 24 millions d’hectares de terre – une étendue supérieure à celle de la Tunisie –, coûté la vie à trente-trois personnes, détruit un cinquième des forêts du pays, tué plusieurs centaines de millions d’animaux et mis en péril des écosystèmes uniques au monde. La région des montagnes Bleues, une zone forestière de 1 million d’hectares d’une exceptionnelle biodiversité classée au Patrimoine mondial de l’Unesco, a été particulièrement affectée : 80 % de sa surface a été touchée par des feux. Depuis, chacun y panse ses plaies tout en se préparant à l’avenir. Selon les conclusions de la commission d’enquête royale sur les catastrophes naturelles nationales, publiées le 30 octobre 2020 : « Ce qui était sans précédent est désormais notre futur. »
« Le jour de mon accident, tout n’était que chaos. J’avais l’impression que des rivières de lave coulaient de la cime des arbres. Des troncs s’abattaient sur les routes. Des braises grandes comme des assiettes tourbillonnaient dans l’air. Et moi, j’étais là, au milieu de cet enfer, chargée du système d’alimentation de la lance à incendie, dérisoire, impuissante », se souvient Sarah Hyde, qui s’est jetée au sol pour éteindre les flammes et s’est relevée indemne mais « en vrac ».
Depuis, elle a rapidement quitté le village fondé par son arrière-grand-père, Mount Irvine, un hameau de neuf âmes où la vie est rythmée par le chant des oiseaux-lyres, pour s’installer à proximité de son lieu de travail et échapper aux souvenirs que ravivait, chaque jour, le trajet en voiture entre les forêts d’eucalyptus noircis. Mais ils sont restés tapis en elle, comme un mal dont elle n’arrive pas à se débarrasser. C’est ce que réalise son père, Allen Hyde, en cette journée de juin, bouleversé de la découvrir encore si fragile. Les conclusions d’une étude préliminaire publiée par l’université nationale australienne, en 2022, « indiquent que les personnes touchées par les catastrophes sont à risque accru de problèmes de santé mentale persistants ».
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