Et si Dieu les avait envoyés sur l’île de Kioa, dans le nord-est des Fidji, en éclaireurs ? Lawrence Nikotemo, le chef du conseil de l’unique village local, Salia, aime à croire que ce n’est pas tout à fait par hasard si, en 1946, des habitants de l’archipel des Tuvalu, à un millier de kilomètres au nord, ont acheté cet îlot de quelques kilomètres carrés dont les collines, recouvertes d’une jungle épaisse, dominent une baie aux eaux cristallines. « Il n’est pas très grand, mais nous sommes prêts à accueillir, à bras ouverts, tous les Tuvaluans qui le souhaitent, si un jour cela s’avère nécessaire », affirme l’homme aux cheveux poivre et sel dans un sourire bienveillant, près du petit café du village, construit pour les rares touristes s’aventurant jusqu’à ce bout de terre aux paysages de carte postale, perdu à seize heures de ferry de la capitale, Suva.
Dans ce Pacifique Sud particulièrement vulnérable à la crise climatique, où la montée des eaux contraint déjà des hameaux entiers à se relocaliser, l’Etat des Tuvalu, l’un des plus petits au monde avec ses 26 kilomètres carrés et à peine 11 000 habitants, est aussi l’un des plus menacés. Il est constitué de neuf atolls coralliens à fleur d’eau, d’une hauteur moyenne inférieure à 2 mètres au-dessus du niveau de la mer ; 95 % de sa superficie pourrait être submergée par de grandes marées périodiques d’ici à 2100 si la hausse des températures n’est pas maintenue au-dessous de 1,5 °C. L’objectif semble de plus en plus hors d’atteinte, tant les efforts des Etats pour limiter leurs émissions de gaz à effet de serre restent insuffisants. Le sujet sera au cœur de la COP28 de Dubaï sur le climat, qui s’ouvre le 30 novembre.
Histoire singulière
Vendredi 10 novembre, à la surprise générale, l’Australie a d’ailleurs annoncé offrir l’asile climatique à ses habitants au rythme de 280 personnes par an, dans un premier temps, anticipant la disparition de l’archipel des Tuvalu. L’île vallonnée de Kioa fait également figure de refuge potentiel pour une partie de la population tuvaluane contrainte de fuir la montée des eaux.
Son histoire singulière commence par un heureux hasard, en 1946. Les habitants de Vaitupu, l’un des atolls de l’archipel des Tuvalu, cherchent alors à investir le petit pécule gagné en travaillant pour les forces alliées durant la seconde guerre mondiale. Ils découvrent que l’île de Kioa est à vendre. Une occasion à saisir pour ces Polynésiens prévoyants qui, inquiets de l’étroitesse de leur territoire, veulent mettre à l’abri les générations futures des risques de surpopulation. Ils achètent ce lopin de terre aux enchères, le divisent en 110 parcelles à raison d’une par famille élargie et, dès l’année suivante, envoient un premier groupe de volontaires poser les fondations de ce qui deviendra le village de Saila.
Il vous reste 77.14% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.