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En Seine-et-Marne, l'IVG n'est toujours pas complètement assumée

Dans le plus vaste département d'Ile-de-France, seuls huit centres pratiquent l'interruption volontaire de grossesse, ce qui rend la prise en charge des patientes souvent tardive.

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Publié le 07 novembre 2013 à 11h25, modifié le 07 novembre 2013 à 15h37

Temps de Lecture 5 min.

En Seine-et-Marne, seuls huit centres pratiquent l'interruption volontaire de grossesse (IVG), ce qui rend la prise en charge des patientes souvent tardive.

Au centre hospitalier de Meaux, la secrétaire du service de planification familiale multiplie les coups de fil en ce jeudi matin. Elle doit trouver en urgence un créneau au bloc opératoire, car le service vient de recevoir une femme souhaitant avorter. Enceinte de 12 semaines, elle atteint la limite légale pour une interruption volontaire de grossesse (IVG) en France.

Finalement, après quelques efforts de négociation, un créneau est trouvé pour le lundi suivant ; pour cette patiente, le délai de réflexion obligatoire avant une IVG, normalement d'une semaine, peut être ramené à deux jours, permettant une intervention dans les temps. Le Dr Francine Michel soupire : "Il faut parfois batailler ferme pour réserver un bloc opératoire en dehors des horaires qui nous sont alloués. C'est particulièrement mal pris quand il s'agit de faire une IVG, constate le médecin, qui a récemment pris sa retraite de chef de service, mais continue de consulter comme gynécologue. A l'hôpital, l'activité d'IVG n'est toujours pas complètement assumée."

En Seine-et-Marne, le département le plus vaste d'Ile-de-France, l'hôpital de Meaux est l'une des huit seules structures réalisant des IVG. Et dans le secteur nord du département, il s'agit de l'unique centre pratiquant des interventions chirurgicales jusqu'à 12 semaines de grossesse, les hôpitaux voisins ne réalisant pas d'IVG aussi tardives. La Seine-et-Marne (77) concentre à elle seule les principales inégalités territoriales dans l'accès à l'IVG que dénonce un rapport du Haut conseil à l'égalité remis jeudi 7 novembre au gouvernement.

Lire l'entretien avec Françoise Laurant, auteure du rapport du Haut Conseil : "Faire de l'IVG un acte médical comme un autre"

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Très urbanisé sur son flanc ouest, le long de l'axe Meaux-Melun, le département est beaucoup plus rural sur sa moitié Est. Sa géographie atypique se reflète dans l'organisation de l'offre de soins : les hôpitaux pratiquant des IVG sont concentrés sur les grandes villes de l'ouest du département, tandis que l'Est souffre à la fois de l'éloignement des structures et de moins bonnes connexions par les transports en commun.

 

UNE PROCÉDURE COMPLEXE

Dans le 77, comme ailleurs en France, des centres ont fermé ou ont été transférés (l'hôpital de Lagny a été transféré de quelques kilomètres à Jossigny, celui de Nemours a cessé de faire des IVG dans le cadre d'une refonte de ses activités) et le secteur public ne peut compter que sur lui-même. La clinique de Tournan-en-Brie est la seule de Seine-et-Marne à réaliser des IVG. Pour les autres, l'activité, coûteuse et mal remboursée, a été abandonnée. Malgré la revalorisation du forfait, décidée par le gouvernement Ayrault en début d'année, l'activité reste déficitaire.

Pour de nombreuses femmes, l'avortement reste un parcours du combattant, jalonné de nombreuses étapes qui en allongent la procédure. Même avec des délais de consultation acceptables, globalement inférieurs à une semaine dans les principaux centres de Seine-et-Marne, un grand nombre d'avortements sont effectués tardivement (entre 9 et 12 semaines de grossesse) alors qu'ils auraient pu être pris en charge plus tôt. Se rendre aux rendez-vous indispensables avant une IVG (deux consultations espacées d'au moins une semaine, une prise de sang, une échographie pour dater la grossesse... le tout à des horaires qui empiètent souvent sur le temps de travail) demande une organisation personnelle solide, d'autant qu'il est souvent difficile de se confier à son entourage pour obtenir une aide. "La procédure est complexe et chaque hôpital a la sienne, souligne Isabelle Louis, directrice du Mouvement français pour le planning familial (MFPF) Ile-de-France. Selon les centres, il faut se déplacer une, deux, trois ou quatre fois. Rien n'est fait pour que ce soit facile." Le rôle d'information et d'orientation d'une association comme le Planning familial est donc capital.

Les efforts du MFPF en Seine-et-Marne se concentrent d'ailleurs sur les secteurs les plus isolés du département. La première antenne du Planning dans le 77 a ouvert ses portes il y a trois ans à la Ferté-sous-Jouarre, petit village situé à mi-chemin entre Meaux et Château-Thierry, et deux autres permanences sont en projet à Veneux-les-Sablons et à Champagne-sur-Seine, non loin de Fontainebleau. La dizaine de bénévoles du Planning dans ce secteur semi-rural espère entraîner dans son sillage tout un réseau de professionnels de santé sensibilisés. "Quand on habite dans un village de 700 à 5 000 habitants, il n'est pas évident pour une jeune fille de parler au médecin de famille de sa sexualité ou de franchir la porte de sa pharmacie pour obtenir une contraception", explique Patricia Jaume, chargée de mettre en place cette deuxième antenne du MFPF dans le département.

UN ACTE PEU VALORISÉ ET PEU VALORISANT

Eveiller l'intérêt des médecins pour cet acte a priori peu valorisant fait partie des objectifs du Planning. La loi permet depuis 2004 aux médecins libéraux de réaliser des IVG médicamenteuses, à condition d'avoir suivi une formation et signé une convention avec l'hôpital du secteur. Mais à Meaux, par exemple, aucun généraliste ne pratique d'IVG en cabinet, relève le Dr Francine Michel. "L'hôpital a proposé des formations aux généralistes du secteur. Seuls deux médecins l'ont suivie, c'est une perte d'argent." Un médecin a bien signé un agrément avec le centre hospitalier (CH) de Meaux... mais n'a encore jamais réalisé d'acte. Au service de planification familiale, on avoue ne jamais orienter de patiente vers ce médecin. "On n'y pense même pas !"

Les IVG médicamenteuses peuvent être réalisées jusqu'à 5 semaines de grossesse par un médecin de ville et jusqu'à 7 semaines de grossesse en hôpital.

La situation est différente autour de Melun, où dix médecins de ville sont conventionnés auprès de l'hôpital. L'an dernier, ces libéraux ont réalisé 409 avortements, soit près de 40 % des IVG faits dans le secteur de Melun en 2012 (les IVG devant obligatoirement être déclarés, il est facile pour les hôpitaux d'en tenir la comptabilité). Mais là encore, certains médecins ne jouent pas complètement le jeu : trois de ces médecins concentrent 80 % de l'activité libérale d'IVG en ville, tandis que deux n'ont réalisé aucune interruption de grossesse en 2012.

Le manque d'intérêt des médecins masque parfois des freins idéologiques. A Meaux, deux médecins de ville sont rattachés à l'hôpital spécifiquement pour effectuer des IVG chirurgicales. Mais ils ne sont là qu'à temps partiel. "Tout le service est censé faire des IVG, notamment des IVG médicamenteuses. Or, sur huit médecins, nous avons trois objecteurs de conscience, et sur les cinq restants, deux s'arrangent pour n'avoir jamais à faire d'IVG, regrette Francine Michel. Comme ancienne chef de service, j'ai fait l'erreur de ne pas demander aux médecins que nous recrutions s'ils acceptaient de pratiquer des IVG. Ce devrait pourtant être un critère prioritaire pour travailler dans le secteur public." Un critère qui permettrait aux hôpitaux de montrer que l'IVG est une activité parfaitement assumée par le service public.

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