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DOUME VILLAGE, CLOSE TO LASTOURSVILLE, GABON, 29 JUNE 2021:  Two bushmeat hunter search for antelope and porcupine in the forest close to Doume. Their village survives on fishing and bushmeat. Gabon has a sustainable bushmeat culture, largely because of its small population and large protected habitats.  (photo by Brent Stirton/Getty Images for FAO, CIFOR, CIRAD, WCS)
BRENT STIRTON/GETTY IMAGES pour FAO, CIFOR, CIRAD, WCS

Au Gabon, les chasseurs de brousse sous surveillance

Par  (Doumé, Franceville, Libreville (Gabon), envoyée spéciale)
Publié le 12 octobre 2021 à 01h34, modifié le 27 janvier 2022 à 15h30

Temps de Lecture 9 min.

Cyril, modeste chasseur de viande de brousse, est devenu un sujet d’étude. Lui qui ne possède qu’un fusil calibre 12 à un coup et une case en bois dans un village perdu au milieu de la forêt tropicale en reste tout étonné. « Un jour, des hommes sont arrivés, nous avons d’abord pensé qu’ils venaient pour faire un parc national », raconte l’homme long et sec, en se remémorant le sentiment d’effroi qui, d’une traite, avait traversé le village.

Au Gabon, comme dans le reste de l’Afrique centrale, la création des aires protégées s’accompagne d’une longue histoire de spoliations et d’expulsions que nul n’a oubliée. Ici, il faut déjà cohabiter avec les grandes concessions forestières qui encerclent le village. Mais les chercheurs n’avaient pas parcouru autant de kilomètres pour les déloger.

Rick Lindzondzo, un chasseur de brousse du village de Ndambi, près de Lastourville, au Gabon, le 30 juin 2021.

Doumé, 150 habitants installés le long des rives du tumultueux Ogooué, à deux heures de pirogue de Lastourville, est un des sites choisis par les scientifiques du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) afin d’évaluer l’impact de la chasse sur la faune sauvage et de proposer un cadre qui concilie protection des espèces et reconnaissance de droits pour les chasseurs. Ces derniers sont, aujourd’hui, le plus souvent contraints d’agir dans la clandestinité. « Ils nous tracassent tout le temps [les agents du ministère des eaux et forêts]. Nous n’avons pas d’autres moyens pour vivre et il nous faut bien de l’argent pour acheter de l’huile, du savon ou payer les médicaments quand un de nos enfants est malade », fait valoir, fataliste, ce père de neuf enfants.

Les doutes levés, le chasseur et la vingtaine d’hommes du village qui, comme lui, pistent la nuit venue céphalophes, potamochères, porcs-épics et autres espèces moins avouables car strictement protégées comme les pangolins ou les mandrills, ont accepté de se plier à la discipline des chercheurs. Depuis deux ans, à côté de la machette, du fusil et de la lampe frontale, ils emportent dans leur paquetage un GPS et un petit carnet dans lequel ils consignent – de façon anonyme – le lieu et la nature de leurs prises. La loi, héritée pour partie de l’époque coloniale, interdit la capture du gibier six mois sur douze. En novembre 2020, une exception a néanmoins été consentie pour certaines gazelles, porcs-épics et rongeurs, espèces les plus consommées et dont les populations sont jugées abondantes.

Des chasseurs de brousse près de Lastourville, au Gabon, le 30 juin 2021.

« Notre objectif est de mettre en place des comités de chasseurs formés à la gestion durable de la ressource et d’aider à la création de filières de viande de brousse légale, durable et saine », résume Hadrien Vanthomme, le coordinateur du projet qui, au total, couvre l’activité d’une centaine de chasseurs sur trois villages.

L’initiative s’inscrit dans le cadre plus large du Programme de gestion durable de la faune sauvage, lancé en 2018 par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture dans treize autres pays d’Afrique, au Guyana et en Papouasie-Nouvelle-Guinée et financé par l’Union européenne. La chasse nourrit des millions de familles dans les zones rurales et dans les villes qu’elle approvisionne. Mais elle fait peser une pression croissante sur la faune, de surcroît lorsqu’elle est associée au trafic d’espèces menacées sur les marchés internationaux, comme pour les pangolins ou les grands singes.

Consommation de pangolins interdite

L’épidémie de Covid-19 a brutalement rappelé l’enjeu sanitaire lié au contrôle des circuits opaques qui entourent la commercialisation des animaux. Si l’origine du SARS-CoV-2 n’a pas encore été élucidée, le marché de produits frais de Wuhan, en Chine, a vite été désigné comme un des principaux suspects. Au Gabon, dès le mois d’avril 2020, la vente et la consommation des chauves-souris et des pangolins – deux espèces connues pour être des réservoirs ou hôtes intermédiaires des coronavirus – ont été interdites.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Sur la piste de la « pangolin connection »

La décision a laissé perplexes les villageois. « Nous ne disons pas que le virus n’existe pas mais il n’est pas ici car sinon nous serions morts. Nous n’avons rien pour nous soigner », remarque Florentin Mayela, le chef du village, en vantant les vertus protectrices du climat et des recettes de cuisson ancestrales, propres, selon lui, à terrasser n’importe quelle maladie.

Au petit matin, lorsque les chasseurs sortent de la forêt avec leur butin, un collecteur en pirogue charge la marchandise dans de petites caisses recouvertes d’un tissu pour l’acheminer jusqu’à Lastourville. Là-bas, sur les bords du fleuve, un acheteur en brouette l’attend, avant de partir faire sa tournée quotidienne chez les restaurateurs et les particuliers, en prenant soin de déjouer la curiosité des autorités.

L’introduction d’une veille sanitaire pour anticiper de futures zoonoses est cependant d’actualité. Les scientifiques du Cirad imaginent qu’ils vont confier aux chasseurs la tâche de réaliser des prélèvements sérologiques ou par écouvillon sur les carcasses du gibier. Les échantillons seraient ensuite transportés pour analyse jusqu’au Centre international de recherches médicales de Franceville, situé à 200 kilomètres plus au sud, en direction de la République du Congo.

La chasse de brousse contribue au trafic d’espèces menacées sur les marchés internationaux.

La ville où se trouve enterré l’ancien président Omar Bongo Ondimba héberge, depuis la fin des années 1970, un établissement qui fait référence en Afrique. Initialement créé pour élucider les raisons de la faible fertilité des populations de l’Afrique forestière, ses moyens ont vite été réorientés vers la recherche sur les maladies infectieuses comme le paludisme et le VIH. Il possède l’un des deux seuls laboratoires de haute sécurité de type P4 de tout le continent, le second se trouve au National Institute for Communicable Diseases de Johannesburg (Afrique du Sud). Cet équipement, où sont manipulés les virus les plus dangereux, a notamment permis de travailler sur Ebola dès la première épidémie apparue au Gabon en 1996. C’est également dans ce lieu hermétiquement clos – où les chercheurs évoluent en scaphandre – que peuvent être pratiqués les diagnostics virologiques sur les cadavres d’animaux suspects.

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Gaël Maganga, vétérinaire de formation, dirige l’unité Emergence des maladies virales, dont l’une des missions consiste à identifier les espèces porteuses d’agents pathogènes susceptibles d’être transmis à l’homme. En avril 2020, il a publié, dans la revue Scientific Reports, une étude mettant en évidence la présence de coronavirus chez trois espèces de chauves-sourisHipposideros gigas, Hipposideros ruber et Miniopterus inflatus – vivant dans des grottes du nord-est du Gabon.

Ces résultats ont été obtenus à partir de l’analyse moléculaire de 1 867 échantillons d’animaux (chauves-souris, rongeurs, singes…) collectés entre 2009 et 2015. Leur séquençage a également révélé la proximité génétique de plusieurs d’entre eux avec des coronavirus humains de type 229E. « Nous avons trouvé le plus grand nombre de chiroptères infectés dans les grottes où les hommes vont chasser. Et cela ouvre évidemment la question d’une possible transmission », explique le chercheur spécialiste des mammifères volants.

Dix jours d’expédition en pleine forêt

Chaque année, lorsque son budget le lui permet, il se rend avec son équipe dans ces grottes situées à 500 kilomètres de Franceville pour faire des prélèvements. Dix jours d’expédition en pleine forêt. « Pour moins s’exposer à une contamination, nous ne pénétrons plus dans les grottes. Nous attendons que les chauves-souris sortent pour les capturer dans de grands filets tendus à l’entrée des cavités. Malgré les équipements de protection, il arrive néanmoins de se faire mordre », raconte-t-il dans l’atmosphère paisible de son petit bureau de Franceville.

Pour être utile, le travail de veille devrait, selon lui, cibler les « points chauds » où les risques d’émergence des virus sont les plus importants. Il cite les lieux où de précédentes épidémies sont apparues, les sites miniers ou les exploitations forestières qui mettent l’homme au contact des animaux en perturbant leur habitat, les zones de chasse… « Il existe des milliers de virus. Il serait vain de prétendre tout contrôler », prévient-il.

La chasse nourrit des millions de familles dans les zones rurales et dans les villes qu’elle approvisionne.

A Libreville, Chimène Nze-Nkogue, virologue à l’Institut de recherche en écologie tropicale (IRET), partage l’analyse de Gaël Maganga : « Les risques augmentent parce que les contacts avec les animaux deviennent plus fréquents. Le déboisement dans la région de Bitam [nord du pays] au profit de plantations d’hévéas a poussé vers les villages des grands singes et des antilopes. Cela devrait interpeller les autorités. » Elle s’inquiète aussi du développement d’une chasse qu’elle qualifie d’« industrielle » pour alimenter les villes.

Le long de la nationale 1, entre Libreville et Mouila, où les chasseurs vendent la viande sur de petits étals à ciel ouvert, la chercheuse mène une enquête sur l’origine et la qualité du gibier offert à la consommation. A côté des animaux qu’elle achète régulièrement, elle a aussi, pour faire des économies, mis au point un programme de piégeage : 320 rongeurs ont été capturés. Dans les grands congélateurs du laboratoire, elle a soigneusement rangé plusieurs centaines d’échantillons qu’elle conserve à − 20 °C avant de les analyser avec des machines PCR offertes par la coopération au développement japonaise. Si les coronavirus sont sa principale cible, elle s’intéresse à d’autres familles de virus comme les bocaparvovirus ou les astrovirus également à l’origine de zoonoses.

Les terriers « lieux de potentiels transferts viraux »

David Lehmann, directeur scientifique de la station d’étude des gorilles et des chimpanzés du parc national de la Lopé, doit aussi lui fournir des prélèvements effectués sur des pangolins géants. Il existe, au Gabon, trois espèces de pangolins, dont seul le géant, Smutsia gigantea, est strictement protégé. Tous sont néanmoins braconnés pour leur chair très prisée et leurs écailles achetées pour la pharmacopée locale, ou pour alimenter le trafic international à destination de la Chine et du Vietnam. Le docteur Lehmann mène une étude sur l’habitat du mammifère dont aucune capture à but scientifique n’avait jusqu’alors été réalisée. Les spécimens attrapés ont révélé des tailles – soit 38 kilos et 1,72 mètre pour la plus imposante femelle – bien supérieures à ce qui était connu.

Le chercheur, rattaché à l’Agence nationale des parcs nationaux, a mis au jour l’existence de vastes réseaux de galeries souterraines creusées à plusieurs mètres de profondeur et menant à des chambres ovoïdes dans lesquelles l’animal dort sur le dos ou en position fœtale. Lors de ses investigations aventureuses dans les terriers, il a pu constater que ce mystérieux animal ne vit pas seul. « Les terriers sont des refuges pour d’autres espèces comme les porcs-épics, les mangoustes, les serpents mais aussi des chauves-souris de type Hipposideros, porteuses de coronavirus, décrit-il, sans cacher que, avant la publication de l’article de Gaël Maganga, il n’avait pas conscience du danger. Ce sont des milieux humides tapissés de guano et d’urine, des lieux de potentiels transferts viraux entre espèces. »

Hormis quelques scientifiques avertis, nul n’imagine qu’un enchaînement fatal semblable à celui de Wuhan puisse se produire ici. D’un côté, une métropole de plus de onze millions d’habitants, vitrine de l’intégration de la Chine dans la mondialisation. De l’autre, un pays presque entièrement recouvert de forêt où la présence humaine se compte en unité au kilomètre carré. « Les Gabonais vous diront qu’ils mangent des chauves-souris depuis la nuit des temps et qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Ebola a cependant montré que des épidémies peuvent survenir, même dans les pays très peu peuplés », souligne David Lehmann.

La pandémie a rappelé l’urgence de renforcer les systèmes de veille sanitaire. Dans la forêt d’Afrique centrale, c’est vers Cyril, modeste chasseur de viande de brousse, que les yeux sont désormais braqués.

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