Cancérologue, le professeur Daniel Nizri a longtemps exercé comme clinicien à la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Il a aussi accompagné la mise en place et le suivi du plan Cancer. En juillet 2021, âgé de 70 ans, il a remplacé Axel Kahn, décédé, à la présidence de la Ligue contre le cancer. Il préside également, depuis août 2020, le comité de suivi du Plan national nutrition santé. Entretien avec un ambassadeur de la lutte contre les cancers, déterminé à faire progresser la prévention et réduire les inégalités.
L’épidémie de Covid-19 a creusé les inégalités et entraîné des pertes de chance pour les malades du cancer. Est-ce aussi le constat de la Ligue ?
La crise sanitaire a eu de fortes conséquences sur les parcours de soins, et tout n’est pas chiffrable. Nous avons été alertés, au niveau du siège et des 103 comités départementaux, dès le premier confinement. Les déprogrammations ont principalement touché les actes chirurgicaux, et notamment l’exérèse des tumeurs, les anesthésistes-réanimateurs étant très mobilisés sur le front de l’épidémie. Et il y avait un souci de protéger les personnes fragiles en leur évitant des lieux où elles pourraient être infectées. Le rattrapage est en cours.
Quelles sont les conséquences pour les patients ?
Certes, ces personnes qui ont vu leur chirurgie reportée ont été traitées. Pour un cancer débutant de la prostate, par exemple, c’est ennuyeux, mais ce n’est pas non plus la fin du monde en termes de pronostic. Mais les conséquences peuvent être délétères sur le plan psychologique. Quand on vous annonce un cancer, vous recevez une enclume sur la tête, et si en plus, vos soins sont décalés, cela peut faire des dégâts sur le plan de la confiance dans les équipes soignantes, dans les autorités… D’autant que des reports, voire des changements de stratégie de traitements, ont parfois été annoncés par un simple SMS. Par ailleurs, beaucoup d’interventions de reconstructions mammaires ou de préservations d’ovocytes n’ont pas été réalisées. Ces personnes sont en vie, certes, mais leur projet de vie est complètement modifié.
En 2020, le nombre de nouveaux cas de cancer a chuté de 93 000 en France par rapport aux années précédentes, selon les estimations de la Ligue, soit une baisse de 25%...
Les invitations aux dépistages organisés ont carrément été arrêtées pendant les deux mois de confinement. Ensuite, c’est reparti doucement. Mais là aussi, le retard n’a pas été rattrapé. S’agissant du cancer du sein, la participation est passée de 52 % en 2018-2019 à 42 % en 2020. La dégringolade est encore plus importante dans des départements comme la Seine-Saint-Denis, des zones rurales et en outre-mer, où la participation était déjà basse. Pour certaines femmes, un rendez-vous reporté ne sera jamais reprogrammé. Pour le dépistage du cancer colorectal, le taux de participation de 30 %, déjà très insuffisant, a encore baissé. Il faudrait d’ailleurs analyser les raisons profondes de cette si faible adhésion à ces politiques de santé publique.
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