Le livre. Après son livre Mediator 150 mg. Combien de morts ? (Editions Dialogues, 2010), le film La Fille de Brest (Emmanuelle Bercot, 2016), la pièce de théâtre Mon cœur (Pauline Bureau, 2017) et le livre de photographies Visages du Mediator (qu’elle a co-écrit avec Marc Dantan, Prescrire, 2019), Irène Frachon décline l’un des scandales sanitaires français les plus retentissants en bande dessinée. On pourrait légitimement se dire que tout a été écrit et dit sur cet antidiabétique détourné pendant des années comme coupe-faim, qui a fait des centaines de morts notamment par valvulopathie. Eh bien, l’on aurait tort. A plus d’un titre.
D’abord parce que, si Mediator. Un crime chimiquement pur (Delcourt, 199 pages, 23,95 euros), écrit par la pneumologue – lanceuse d’alerte – et Eric Giacometti, ancien journaliste au Parisien devenu romancier et scénariste de Largo Winch, retrace évidemment la chronique de ce médicament, les auteurs invitent le lecteur à suivre plusieurs fils : celui des victimes, celui de l’histoire des laboratoires Servier, intrinsèquement liée, dès leur création, à l’invention du Mediator et de l’Isoméride, médicament aux propriétés anorexigènes finalement retiré du marché en 1997 simultanément aux Etats-Unis et en France. « Isoméride et Mediator libèrent en réalité le même poison [formule chimique à l’appui à la fin de la BD] dans l’organisme », disent les auteurs.
Personne n’est épargné
Ensuite, parce que, si ce roman graphique, dessiné par François Duprat et colorisé par Paul Bona, fourmille d’explications, de détails médicaux et scientifiques et pourrait rebuter le néophyte, il est au contraire très didactique. Surtout, il se lit comme un vrai polar. Personne n’est épargné, la puissance des laboratoires Servier, l’entregent et les réseaux politiques de leur patron, Jacques Servier, le système sanitaire français, au premier rang duquel l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), bien trop perméable, selon les auteurs, aux influences d’intérêts privés.
Tout au long du récit, un personnage, toge sur l’épaule et sandales aux pieds, se promène de page en page : c’est Hippo – Hippocrate, symbole de l’éthique médicale. A la fin, celui qui joue non seulement le pédagogue mais aussi le Monsieur Loyal tire trois enseignements sur lesquels la société devrait réfléchir : les diktats imposés au corps des femmes, l’existence encore et toujours de conflits d’intérêts entre médecins et laboratoires, et enfin la criminalité en col blanc, si peu punie.
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