Janvier 2020. Le cas d’un jeune homme de 30 ans présentant « des métastases un peu partout », se souvient Sarah Watson, est confié au laboratoire de cette biologiste et oncologue de l’Institut Curie. « Nous nous attendions à un diagnostic de sarcome [cancer rare des tissus mous ou de l’os], qui est ma spécialité. Mais la biopsie nous montre que c’est un carcinome [cancer d’un tissu épithélial], explique-t-elle. Nous ne savions pas quel était le primitif [premier organe touché]. »
Le pronostic n’est pas bon. La plupart des cancers sont aujourd’hui soignés de façon ciblée en fonction de l’organe d’origine. Ceux, comme celui-ci, appelés « primitif inconnu », « doivent être traités selon les recommandations internationales, avec une chimiothérapie la plus large possible qui puisse taper un peu sur toutes les origines possibles, explique l’oncologue. Mais ce traitement marche globalement très mal, et ces patients ont une espérance de vie entre six et dix mois ».
Heureux hasard, la scientifique et son équipe viennent juste d’élaborer un outil d’intelligence artificielle (IA) à destination de ces cancers. Entre mai et décembre 2019, un algorithme d’apprentissage, conçu par un chercheur du laboratoire, a été entraîné sur une base de données constituée de plus de 20 000 profils d’ARN (acide ribonucléique) de cellules tumorales de cancers du côlon, du sein, du poumon… Autant de cartes d’identité d’une tumeur donnée, l’ARN étant la signature d’expression des gènes qui y sont associés. « Le principe d’un outil d’IA est d’être capable de reconnaître quelque chose qu’il a déjà rencontré, rappelle la chercheuse. Nous nous étions dit : si nous arrivons à apprendre à un ordinateur à distinguer, sur le plan de l’ARN, une tumeur du rein, du côlon ou du sein, peut-être que cet outil sera capable, si on lui soumet l’ARN d’un cancer d’origine inconnue, de trouver d’où il vient. » Le résultat n’était pas garanti : « Les cancers d’origine inconnue avaient peut-être un profil d’ARN propre ? », ajoute-t-elle.
Le « premier patient »
A l’Institut Curie, « le jeune homme n’allait pas bien du tout, se souvient-elle. Sans savoir vraiment si cela allait marcher, nous décidons de tester notre outil. » Obtenir le profil d’ARN de la tumeur prend une semaine. Le traitement informatique dure, lui, quelques minutes. Résultat, le jeune homme présente un cancer du rein « avec 95 % de certitude selon le logiciel », précise-t-elle. Ce patient sera donc traité spécifiquement pour le rein, un protocole sans chimiothérapie, car cet organe y est peu réceptif.
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