De la richesse des données dépend souvent la pertinence d’une étude. Sultan Mehmood et Avner Seror, enseignants-chercheurs respectivement à la New Economic School de Moscou et à l’Ecole d’économie de l’université Aix-Marseille, mènent des recherches sur la manière dont les religions peuvent avoir un impact sur les décisions. Ils travaillaient sur le cas des juges musulmans au Pakistan, lorsque Daniel L. Chen, directeur de recherche CNRS à la Toulouse School of Economics, s’est rapproché d’eux pour partager un jeu de données, autrement plus vaste, sur l’Inde. Leurs travaux, publiés dans la revue Nature Human Behaviour le 13 mars, sont ainsi basés sur un échantillon de quelque 500 000 décisions rendues par 10 000 juges au cours du ramadan, depuis soixante-dix ans, dans ces deux pays. Or, si au Pakistan 65 % des juges sont musulmans, en Inde, ils ne sont que 5 %.
Les résultats de cette étude sont d’une finesse presque déroutante. Ils montrent que, pendant le ramadan, les juges musulmans sont plus cléments que le reste de l’année et que les autres juges. De surcroît, plus la durée du jeûne quotidien est longue, plus ils sont cléments. Or, le nombre d’heures jeûnées diffère fortement selon que le ramadan tombe en été ou en hiver. De plus, dans le sous-continent indien, la durée du jour peut varier de deux heures entre le Nord et le Sud.
20 % d’acquittements supplémentaires
L’étude atteste ainsi que « les juges musulmans ont 10 % de chance de plus d’acquitter à chaque heure supplémentaire de jeûne » par rapport à sa durée minimale quotidienne. « Cette corrélation entre les heures de jour [situées entre le lever et le coucher du soleil] et les acquittements est seulement présente pendant les mois de ramadan », ajoutent les trois chercheurs, spécialistes d’économie politique et des modèles mathématiques appliqués à l’économie. En moyenne, le nombre d’acquittements supplémentaires prononcés par les juges musulmans pendant cette période rituelle de l’islam augmente de 20 %, quelle que soit la confession de la personne jugée.
Cependant, l’étude n’a porté que sur le nombre d’acquittements par rapport à celui des condamnations, et non sur la sévérité de ces dernières. En étudiant les délais de justice et le nombre d’affaires tranchées par les magistrats, les auteurs constatent que cette clémence ne provient pas d’une baisse d’attention ou de rythme de travail. Ils ont même cherché à savoir si ce sursaut d’indulgence avait pu avoir un impact sur le taux de récidive des personnes acquittées. Ils n’en ont pas trouvé.
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