Dans le nord-ouest de l’Australie, la péninsule de Murujuga, dénommée ainsi par le peuple autochtone jaburara en raison de sa forme d’« os de hanche qui dépasse », abrite l’une des plus grandes et des plus anciennes galeries d’art au monde. Plus d’un million de gravures rupestres concentrées sur un territoire de 36 857 hectares. Cette étroite langue de terre se jetant dans l’océan Indien est aussi, depuis les années 1960, un important centre d’activité pour les secteurs minier et pétrochimique.
Alors que les travaux de construction d’une nouvelle usine d’engrais ont commencé, fin avril, et que le groupe pétrolier Woodside Energy travaille sur un mégaprojet gazier pour l’exploitation de deux immenses gisements offshore et l’extension de deux usines de traitement sur la péninsule, des archéologues appellent à mieux protéger le site multimillénaire, sacré pour les aborigènes.
« Nos recherches montrent que les émissions acides actuelles endommagent déjà les surfaces rocheuses sur lesquelles ont été gravés les pétroglyphes. La construction de nouvelles usines ne fera qu’accélérer les dommages en cours et la destruction des roches se produira encore plus rapidement », met en garde Benjamin Smith, professeur émérite d’art rupestre à l’université d’Australie-Occidentale et qui a publié, en novembre 2022, l’étude « Surveillance de la dégradation de l’art rupestre. Analyse d’images d’archives des pétroglyphes de Murujuga, Australie-Occidentale » .
Des millénaires de savoirs et d’histoires
Pendant longtemps, les scientifiques se sont essentiellement inquiétés des conséquences directes de l’industrialisation sur les sites archéologiques. A Murujuga, les engins de chantier auraient détruit au fil des décennies des centaines de pétroglyphes. Pour la construction de cette nouvelle usine d’engrais par Perdaman Chemicals and Fertilisers, un gigantesque projet d’un montant de 3,7 milliards d’euros, le groupe a déplacé, avec l’accord des autorités, trois panneaux d’art rupestre pour faire place nette avant le début des travaux.
Selon le comité de la Corporation aborigène de Murujuga (MAC), qui représente les intérêts des propriétaires traditionnels, les gravures n’auraient pas été endommagées, mais l’épisode a été « très difficile » pour la communauté. Eliza Kloser, journaliste du média local Ngaarda, venue prendre des photos le matin de l’opération, le 28 avril, a été interceptée à deux reprises par les services de police. Certains craignaient un « Juukan Gorge 2.0 », en référence au dynamitage des grottes préhistoriques de Juukan Gorge, un site sacré aborigène vieux de 46 000 ans, en mai 2020, par le groupe minier Rio Tinto.
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