Il est des missions d’exploration archéologique qui sont assurées de taper dans le mille. Celle qui a été menée au large des eaux territoriales tunisiennes, sous l’égide de l’Unesco, à la fin de l’été 2022 n’a pas mis longtemps à découvrir trois épaves, dont une datant probablement du Ier siècle. Le lieu choisi, le banc des Esquerquis, dont certains récifs affleurent à moins de 50 centimètres de la surface, a causé des naufrages depuis des millénaires sur une zone d’environ 30 kilomètres carrés entre la Tunisie et la Sicile. Il était même devenu, depuis la fin des années 1970, au gré de la démocratisation du matériel de plongée, un haut lieu du pillage archéologique en Europe.
« C’était au premier qui trouvait, car aucune législation ne protégeait ces vestiges dans les eaux internationales », rappelle Michel L’Hour. A peine arrivé, en 1982, au ministère de la culture, au département qui deviendra celui des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm), qu’il dirigera jusqu’à son départ à la retraite en 2021, il se souvient avoir « rencontré des plongeurs français qui disaient aller tous les ans sur le banc des Esquerquis pour visiter des épaves ».
Il aura donc fallu quarante ans pour voir la première opération dans laquelle des scientifiques et des Etats (France, Italie, Tunisie, Maroc, Algérie, Espagne, Croatie et Egypte) se réunissent pour concourir à une meilleure protection et valorisation du patrimoine culturel subaquatique immergé dans les eaux internationales. En 2001, pourtant, l’assemblée générale de l’Unesco adoptait une convention pour apporter une protection juridique et un cadre d’intervention multiétatique pour des sites archéologiques sous-marins menacés par la pêche au chalut, les projets industriels ou les chasseurs de trésor. Ratifiée depuis par 72 Etats, elle n’avait encore donné lieu à aucune mission concrète…
« Piège à bateaux »
Le 30 août 2022, peu après 5 h 30, Michel L’Hour vient de rater « un sacré moment », lui apprend à son arrivée sur la passerelle de l’Alfred-Merlin, le flambant neuf navire d’exploration archéologique du Drassm, Loïc Montenay, second capitaine. Un grand voilier a passé tout droit au travers des cailloux. « Visiblement, tout le monde dormait, ce sont des miraculés sans même le savoir », raconte-t-il.
Baptisé du nom de l’historien Alfred Merlin (1876-1965), fondateur de l’archéologie sous-marine, le navire est stationné près du récif de Keith, là où personne ne devrait aller. Mal cartographiée, cette aire marine est qualifiée dans le document préparatoire de l’expédition de « piège à bateaux », en raison des vagues déferlantes engendrées par le rehaussement brutal des fonds, du courant marin est-ouest et des épisodes météo violents de Méditerranée. S’approcher du plus dangereux des trois ensembles rocheux qui parsèment le banc des Esquerquis a nécessité de réaliser plusieurs passages préalables afin de dessiner le relief du massif, sa bathymétrie, à l’aide d’un sondeur multifaisceau placé sous la quille.
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