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Masculin, féminin… Le cerveau a-t-il un sexe ?

Des chercheurs de l’université Stanford, en Californie, viennent de publier les résultats d’une étude qui confirme leur hypothèse : les relations cerveau-comportement diffèrent entre les hommes et les femmes. Un résultat à nuancer.

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Publié le 27 février 2024 à 11h30, modifié le 12 avril 2024 à 10h35

Temps de Lecture 3 min.

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C’est un sujet inflammable, donc à aborder avec des pincettes. Une équipe de chercheurs de l’université Stanford (Californie) a choisi de se pencher sur le cerveau en se posant la question d’éventuelles différences entre les hommes et les femmes. Ils en ont trouvé. Leur étude, publiée dans la revue PNAS du 20 février, ne manquera pas de faire réagir.

Il fut un temps, pas si lointain, où des chercheurs ayant pignon sur rue affirmaient que l’homme était supérieur à la femme car le volume de son cerveau l’était. Jusqu’à ce qu’on comprenne que le volume de la boîte crânienne est proportionnel à la taille du corps… Or, un homme toisant 1,95 mètre n’est pas plus intelligent qu’un autre sous prétexte qu’il mesure 20 centimètres de plus. CQFD.

Cette fois, des chercheurs des départements de sciences comportementales, de neurosciences et de l’intelligence artificielle centrée sur l’homme de l’université californienne n’ont pas eu une approche aussi grossière. Exit les comparaisons morphologiques ! Ils se sont intéressés à l’organisation fonctionnelle de notre matière grise, pas à la forme ni à la taille de ses différentes parties. Leur conclusion est explicite : « Notre étude fournit des preuves irréfutables de l’existence de différences sexuelles reproductibles et généralisables dans l’organisation fonctionnelle du cerveau humain. » Selon les auteurs, « ces caractéristiques cérébrales prédisent des profils cognitifs uniques chez les femmes et les hommes, ce qui démontre leur importance sur le plan comportemental ».

Des différences identifiées

Comment sont-ils arrivés à de telles affirmations ? Leur matériau de base a été constitué d’IRM fonctionnelles (IRMf) de quelque 1 500 individus des deux sexes âgés de 20 ans à 35 ans. Cette technique d’imagerie, permettant de visualiser de façon indirecte l’activité du cerveau, a été utilisée sur le réseau du mode par défaut, autrement dit les régions actives lorsqu’on ne fait rien et que notre attention n’est pas sollicitée. « C’est ce que fait le cerveau quand l’esprit vagabonde entre associations d’idées et souvenirs, par exemple. Cette activité au repos est la signature de notre cerveau », explique Sylvie Chokron, directrice de recherche au CNRS et au laboratoire Psychologie de la perception (université Paris-Descartes), contributrice régulière au Monde.

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Pour étudier ce matériau, l’équipe américaine a développé un modèle de réseau neuronal profond spatio-temporel (stDNN) qu’elle qualifie d’intelligence artificielle (IA) explicable, par opposition aux boîtes noires que constituent certaines IA. Entraînée sur environ un millier de cas, cette IA a ensuite été confrontée à d’autres IRMf.

Résultat ? Dans plus de 90 % des cas, le modèle a permis de distinguer les cerveaux des hommes de ceux des femmes. Les différences identifiées dans plusieurs zones du cerveau (réseau du mode par défaut, striatum, réseau limbique, cortex orbitofrontal) étaient suffisamment précises pour en faire un outil fiable de classification.

Les chercheurs de Stanford se sont appliqués à montrer la reproductibilité de leurs travaux en faisant tourner le modèle, sans entraînement supplémentaire, sur deux autres cohortes indépendantes. Un rapprochement avec les bases de données comportementales a été fait par ailleurs. Ils y ont vu la confirmation de leur hypothèse selon laquelle les relations cerveau-comportement diffèrent entre les sexes. « Ce qui remet en question la notion de continuum dans l’organisation cérébrale masculine ou féminine », écrivent les auteurs. Nous y voilà ! Ils soulignent ainsi « le rôle crucial du sexe en tant que déterminant biologique dans l’organisation du cerveau humain », et anticipent que cela a « des implications significatives pour le développement de biomarqueurs personnalisés spécifiques au sexe dans les troubles psychiatriques et neurologiques ».

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Mais il s’agit ici d’affirmations qui vont au-delà de leurs constats. Sortons donc les pincettes. Sur le plan méthodologique, l’étude est solide, et montre bien des différences fonctionnelles selon le sexe. Pour Gaël Varoquaux, directeur de recherche à l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique, qui travaille sur l’apprentissage machine et les neurosciences, il faut toutefois rester prudent sur l’interprétation des imageries fonctionnelles du cerveau. Une étude britannique publiée en 2018 avait ainsi montré que certaines variations des connectivités fonctionnelles observées entre individus étaient en fait dues à des différences dans la configuration spatiale de leurs régions cérébrales.

Une parole prudente

« Que disent les différences observées ici, de quoi sont-elles constitutives ? », interroge Sylvie Chokron. « Elles peuvent être simplement le reflet des comportements », estime-t-elle. Est-ce qu’un cerveau de femme fonctionne d’une certaine façon parce que l’individu en question se comporte comme une femme ? Ce que la directrice de recherche au CNRS résume ainsi : « Je peux avoir le même cerveau qu’un homme, mais m’en servir différemment. » Avant de critiquer plus fermement les conclusions de l’équipe américaine : « Les auteurs voudraient faire dire à l’article que les différences entre les cerveaux des hommes et des femmes sont liées à leurs capacités cognitives. Or, ils ne montrent rien, c’est une étude de corrélation. »

Vinod Menon, directeur du laboratoire Neurosciences cognitives et systémiques de Stanford, cosignataire de ce travail, reconnaît que « les facteurs environnementaux influencent incontestablement le comportement et la cognition ». S’il réaffirme que « les différences observées dans plusieurs réseaux cérébraux suggèrent qu’il existe des variations intrinsèques dans le fonctionnement du cerveau entre les hommes et les femmes », il ajoute un sérieux bémol : « A ce stade, nous ne comprenons pas les contributions différentielles des facteurs génétiques, épigénétiques et environnementaux. » Une parole prudente.

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Les hommes et les femmes sont-ils sexués par leur cerveau, ou est-ce leur comportement socioculturel qui structure leur fonctionnement cérébral ? L’histoire de la poule et de l’œuf n’a pas fini d’alimenter les débats.

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