Commencer sa vie de chercheuse par des fouilles sous un aéroport, en l’occurrence celui de Rome, en 1999, pourrait être le comble pour une archéologue navale. C’est en réalité d’une logique implacable, si l’on sait l’importance des rencontres et du hasard dans la construction d’une carrière, dans les sciences comme ailleurs. Six ans plus tard, Giulia Boetto, alors jeune diplômée en lettres classiques de l’université de Turin, rencontre l’archéologue Patrice Pomey, venu en Sicile parler des épaves de bateaux grecs antiques découvertes à Marseille. « Il parlait très bien l’italien, moi pas du tout le français, raconte-t-elle aujourd’hui dans un français impeccable. Je lui ai demandé ce que je devais faire pour pouvoir étudier ce genre de choses. »
Un peu plus de trente ans plus tard, cette Italienne de 57 ans se verra remettre le 19 juin, lors d’une cérémonie sous la coupole de l’Institut de France, le Grand Prix d’archéologie de la Fondation Simone et Cino Del Duca. Ce prix, l’un des plus importants au monde dans ce domaine, en tout cas le mieux doté (150 000 euros), est plus exactement décerné à la mission Adriboats (Navires et navigation en Adriatique orientale dans l’Antiquité) qu’elle a lancée en 2007 et dirige toujours.
Il faut dire que cette mission a produit des résultats d’une exceptionnelle richesse. Elle a à son actif quinze épaves de l’Antiquité découvertes ou étudiées en Croatie, dont onze en mer et quatre dans la rivière Kupa, à une soixantaine de kilomètres de la côte. Adriboats est cofinancée par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, le ministère de la culture de Croatie, la région Istrie et le Centre Camille Jullian (CNRS-Aix-Marseille Université), laboratoire de recherches archéologiques et d’histoire ancienne sur le pourtour de la Méditerranée aujourd’hui dirigé par Giulia Boetto.
Un bateau cousu de l’âge du bronze
Clou de ces recherches, l’épave de Zambratija, en Croatie, est le plus ancien bateau cousu connu de Méditerranée. Daté de l’âge du bronze, entre le XIIe et le Xe siècles avant notre ère, ce vaisseau de 7 mètres de long sur 1,70 mètre de large est fait de planches assemblées au moyen de ligatures qui maintenaient un joint d’étanchéité entre elles. Il a été remonté avec d’infinies précautions en juillet 2023, dix ans après sa découverte.
« S’il n’y avait pas eu la volonté du Musée archéologique d’Istrie de valoriser l’épave en prévoyant de construire un musée à Pula pour l’exposer au public, nous ne l’aurions jamais sortie de l’eau », explique Giulia Boetto. Il faut imaginer des planches gorgées d’eau comme des éponges, d’une très grande fragilité, mais très lourdes. « Nous les avons découpées avec un couteau, presque aussi facilement que du beurre », détaille l’archéologue. Pour l’heure, les quinze sections plongées dans l’eau douce d’un sarcophage épousant les formes de l’épave attendent à Pula d’être envoyées à Grenoble. Après les traitements de conservation, confiés au laboratoire ARC-Nucléart, viendra la restauration. Il va falloir patienter environ quatre ans avant de l’admirer au musée.
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