Nos ancêtres et cousins disparus faisaient-ils preuve de compassion, d’entraide envers leurs semblables affaiblis par les blessures, la maladie ou la vieillesse ? Plusieurs cas ont déjà été documentés chez les néandertaliens, mais certains anthropologues continuaient à se demander si ces exemples renvoyaient à des circonstances où l’attention portée à autrui était vraiment désintéressée, ou si elle était motivée par un sens de la réciprocité plus égoïste, en anticipation d’éventuels coups durs.
La grotte de Cova Negra, près de Valence en Espagne, offre une réponse à ces interrogations. Elle a été fouillée depuis les années 1930, révélant des ossements attribués à des néandertaliens l’ayant occupée dans la période allant de 273 000 à 146 000 ans avant nos jours. En se repenchant sur des restes fauniques trouvés sur le site en 1989, Mercedes Conde-Valverde (Université d’Alcala, Madrid) et ses collègues ont découvert plusieurs ossements humains, dont un os temporal immature, baptisé CN-46700, attribué à un enfant néandertalien qui aurait tout juste dépassé l’âge de 6 ans au moment de sa mort.
L’imagerie en tomographie y a révélé la structure des canaux semi-circulaires qui entrent dans la composition de l’oreille interne. L’un de ces canaux présentait une forme anormale. Cette pathologie était très probablement associée à une trisomie 21, estiment les chercheurs espagnols, pour qui les symptômes liés à cette malformation devaient inclure « au minimum », une perte d’audition sévère et une réduction marquée du sens de l’équilibre.
« Si bien que le soin nécessaire à la survie de cet enfant sur une période de plusieurs années excédait les capacités de la mère et aurait requis l’aide des autres membres du groupe social », écrivent-ils dans Science Advances du 26 juin. Jusque dans les années 1930, l’espérance de vie des personnes trisomiques était seulement de 9 ans, rappellent-ils, et de 12 dans les années 1940, pour plus de 60 ans aujourd’hui dans les pays développés.
Une aide désintéressée
« Le cas de CN-46700 est particulièrement intéressant, ajoutent-ils, parce que le soin dont il a fait l’objet était destiné à un individu immature qui n’avait pas la possibilité de rendre la réciproque pour l’assistance reçue. » Le fait que cette forme d’aide désintéressée soit aussi présente chez notre espèce « suggère que cette adaptation sociale complexe a une origine très ancienne dans le genre Homo », avancent-ils en conclusion.
Celle-ci est saluée par l’anthropologue indépendante australienne Lorna Tilley, qui travaille sur la « bioarchéologie du soin » : « Je n’ai aucun doute quant à la fourniture de soins sociaux – et plus particulièrement de soins liés à la santé – dans ce cas précis et dans la société néandertalienne de manière plus générale, car il y en a de nombreuses preuves éclatantes. »
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