Tous les mois, ils se retrouvent à six autour de la table, dans un des salons du neuvième et dernier étage du 22 avenue Montaigne, siège de LVMH. Les cinq enfants issus de deux mariages – Delphine, Antoine, Alexandre, Frédéric et Jean – y entourent leur père, Bernard Arnault. Ils se ressemblent tant : grands, longilignes, le front haut, les yeux clairs, tous d’une parfaite politesse, avec cette allure impeccable composée grâce aux marques du groupe – Dior, Vuitton, Berluti, etc. – qui leur donnent toujours un peu l’air de sortir du pressing.
Ces six-là se parlent plusieurs fois par jour. La plupart habitent à côté les uns des autres, dans les quartiers chics de Paris. Ils se croisent régulièrement dans les défilés de mode, et il y a toujours l’un des frères, ou leur sœur, pour accompagner le père, propriétaire et PDG du numéro un mondial de l’industrie du luxe, dans sa tournée hebdomadaire des boutiques de l’avenue Montaigne, au Bon Marché ou à la Samaritaine enfin rénovée. La réunion mensuelle au siège est cependant d’un genre particulier. Elle tient à la fois du déjeuner de famille et du miniconseil d’administration et, par-dessus tout, d’un cours de haut vol sur la pratique des affaires.
Antoine Arnault, 44 ans, l’aîné des garçons, au regard velouté et à la barbe de trois jours, soucieux d’humaniser l’image du clan, ne présente pas tout à fait les choses comme cela, bien sûr. « C’est une occasion de se retrouver et de se raconter nos vies… », minimise-t-il. Son père lui-même rectifie pourtant sans fard : « Ne nous racontons pas d’histoires, on parle surtout des enjeux du groupe. » C’est lui, du reste, qui dresse chaque mois sur son Ipad, avec son habituelle rigueur glaçante, l’ordre du jour de ce déjeuner. Le repas, forcément diététique, ne doit pas durer plus d’une heure trente. La nomination d’un créateur, l’ouverture d’une boutique, le rachat d’une marque… Le patriarche soumet tout au jugement de ses enfants, distribuant la parole à chacun.
« Notre père, notre patron »
« Ne vous y trompez pas, précise Jean, le benjamin, qui finit à peine ses études et se prépare à entrer dans le groupe comme ses aînés, à la fin, c’est toujours lui qui tranche. » Les cinq héritiers se font les dents devant leur père, comme de jeunes lions apprendraient à chasser devant le roi du clan, avant qu’un jour celui-ci décide lequel prendra sa place. Alexandre, ce « numéro trois », qui a du mal à masquer son appétit de conquête, résume en une phrase ce drôle de mélange entre liens du sang et business : « Il est notre père, bien sûr, mais aussi notre patron. »
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