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En ce début de mois d’août 1977, deux jeunes Français, Gérard et sa fiancée, Nicole, quittent leur Lot-et-Garonne natal en direction du Maroc, d’où ils comptent rejoindre la Mauritanie, puis le Sénégal. L’assurance d’un dépaysement total pour ces deux habitants de Marmande. A l’origine, ils n’avaient pas prévu de faire un détour par les montagnes marocaines du Rif, ces massifs qui bordent la Méditerranée, mais les points de vue y sont, paraît-il, magnifiques, et ils ont donc modifié un peu leur programme. Or, voilà désormais trois semaines que leurs familles n’ont plus de nouvelles. Un accident ? Une mauvaise rencontre ? Inquiètes, elles signalent leur disparition au consulat. Vérification faite, ils se trouvent à la prison de Tanger. Comme le relatera Le Monde en septembre 1977, ils ont été arrêtés à plus de 100 kilomètres de là, à Chefchaouen, en possession de 63 grammes de chiira, l’un des noms de cette poudre résineuse extraite du cannabis, l’une des rares plantes à s’accommoder des contraintes locales (relief accidenté, sol pauvre, précipitations abondantes).
Comme bien d’autres routards européens attirés par les volutes du kif marocain (un mélange de tabac et de cannabis), Gérard et Nicole doivent s’acquitter d’une forte amende pour recouvrer la liberté. Ils se demandent s’ils n’ont pas fait l’objet d’un racket de la part des autorités, qui ciblent les voyageurs occidentaux tout en tolérant la culture du cannabis, officiellement interdite depuis l’indépendance du pays, en 1956. Bien souvent, les vendeurs sont d’ailleurs eux-mêmes à l’origine des dénonciations, dans l’espoir de percevoir une commission sur l’amende à venir.
A mesure que l’intérêt grandit pour cette « spécialité » consommée depuis des siècles avec une pipe à kif (sebsi) ou sous la forme d’un gâteau à base de miel, d’amandes et parfois de dattes, les Rifains s’organisent pour que les bénéfices ne leur échappent pas. Les paysans locaux ont fait leurs calculs : cette culture-là peut rapporter dix fois plus que le blé, l’orge, l’amandier ou l’olivier. Ceux de la commune de Ketama, entre Tétouan et Al-Hoceïma, ont même développé, grâce à des presses mécaniques, la fabrication de plaquettes de résine de cannabis de 20 centimètres sur 10 centimètres, épaisses de 2 centimètres, enveloppées ensuite dans du plastique. Faciles à transporter à la ceinture, à cacher dans les voitures ou dans des ballots ceints de toile de jute, elles prennent le chemin des ports (Tanger, Casablanca, Tétouan) avant d’être acheminées, parfois avec la complicité d’un douanier conciliant, vers le littoral espagnol.
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