A Smiths Falls, une bourgade de l’est du Canada, la fortune a longtemps eu l’odeur du chocolat. Celle que dégageait l’usine du géant de la confiserie Hershey, premier employeur de cette petite ville de l’Ontario, jusqu’à ce que l’entreprise décide, en 2008, de délocaliser sa production au Mexique.
Dix ans plus tard, alors que la ville est engluée dans le marasme économique, un intrigant repreneur transforme l’usine laissée à l’abandon. Smiths Falls exhale bientôt un autre parfum, celui du cannabis, et devient la capitale d’une industrie dont les habitants apprennent le nom à mesure qu’ils sont réembauchés : la weed tech – les nouvelles technologies appliquées à l’herbe.
La nouvelle fierté locale s’appelle Canopy Growth, numéro un mondial de la production de cannabis. En 2019, un an après le rachat des installations, l’entreprise atteint un record de valorisation boursière à 13,7 milliards d’euros et son PDG, David Klein, est alors le mieux payé du Canada. Les cylindres géants utilisés jadis par Hershey pour mélanger le sucre des barres chocolatées servent désormais à l’irrigation des plants de « marijuana ». La factory tourne à plein : 800 000 joints par jour.
![Devant le siège de Canopy Growth à Smith Falls (Ontario), le 17 octobre 2018, jour où fumer du cannabis est devenu légal au Canada.]( https://img.lemde.fr/2023/07/27/0/0/3648/5472/630/0/75/0/067ce33_1690458836973-efesptwelve347611.jpg 1x, https://img.lemde.fr/2023/07/27/0/0/3648/5472/1260/0/45/0/067ce33_1690458836973-efesptwelve347611.jpg 2x)
Miser sur Smiths Falls, en cette année 2019, n’a rien du hasard. Voilà tout juste quelques mois que le pays a légalisé le cannabis, et les clients potentiels sont nombreux. Selon l’organisme officiel Statistique Canada, 20 % des habitants âgés de plus de 15 ans sont alors des fumeurs réguliers. Le cabinet Deloitte estime à 2,5 milliards de dollars américains le marché national du cannabis légal en 2020, et anticipe sa croissance à 6,7 milliards en 2026.
De quoi donner à Canopy Growth des rêves de grandeur… Sauf que la société, trop ambitieuse, mal préparée, soumise aux stricts quotas des licences médicales et aux rigidités d’un secteur contrôlé par l’Etat, va exploser en vol.
Mastodontes de l’alcool et du tabac
Cotée au « Cannabis Index » de la Bourse de Toronto, son action dévisse, passant de 32,8 dollars en février 2021 à 7,12 dollars en février 2022, et à moins de 39 cents à l’été 2023. Au quatrième trimestre de 2022, l’entreprise accusait 260 millions de dollars de pertes nettes. Elle a licencié huit cents employés, dont la majorité du personnel de Smiths Falls. L’usine a de nouveau fermé. L’éphémère capitale du cannabis a replongé dans la crise.
L’« affaire » de Smiths Falls n’est pas anecdotique. C’est la parabole d’un secteur ultraspéculatif, où règnent l’anticipation et les paris financiers déraisonnables. Ses pionniers sont à l’affût des légalisations du cannabis thérapeutique et récréatif à travers le monde. Chaque loi ratifiée donne le feu vert à la ruée vers un nouveau marché. Licences d’usage médical, confiseries aromatisées, recharges pour vapoteuses, huiles au CBD… Il faut du cousu main pour s’adapter à des réglementations locales souvent négociées de haute lutte.
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