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Des promesses de campagne à la loi sur la fin de vie : un grand malentendu ?

La proposition de loi Claeys-Leonetti est arrivée à l’Assemblée mardi sur fond de déception d’une bonne partie des parlementaires de gauche, favorables à davantage d’audace.

Par  et

Publié le 10 mars 2015 à 18h04, modifié le 19 août 2019 à 13h11

Temps de Lecture 6 min.

La proposition de loi Claeys-Leonetti arrive à l’Assemblée mardi sur fond de déception d’une bonne partie des parlementaires de gauche.

C’est l’histoire d’une promesse de campagne si habilement formulée que chacun y a lu ce qu’il voulait y voir. Lorsque le 26 janvier 2012, à la Maison des métallos, à Paris, le candidat François Hollande présente parmi ses soixante engagements pour la France une mesure, la vingt-et-unième, prévoyant une « assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité », les partisans de l’euthanasie ne doutent pas que si le candidat socialiste est élu, une aide active à mourir sera mise en place. Certes, il s’est déclaré opposé à l’euthanasie, mais à l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), on croit que seul le mot lui fait peur.

Un peu plus de trois ans plus tard, le texte qui va être débattu à l’Assemblée, mardi 10 et mercredi 11 mars, n’autorise ni l’euthanasie ni le suicide assisté. La proposition de loi, présentée par un député UMP, Jean Leonetti, et un PS, Alain Claeys, instaure un nouveau droit, celui d’une sédation profonde et continue en toute fin de vie, pour pouvoir être endormi avant de mourir. Une véritable avancée qui place la volonté du patient au centre. Mais pour bon nombre de députés PS, ce n’est là que le minimum de ce qui était envisageable.

Presque à la surprise générale, à la veille de l’examen du texte, 120 d’entre eux ont signé un amendement qui prévoit une aide médicalisée active à mourir. « Notre amendement ne trahit pas la pensée de la proposition 21 », explique Catherine Lemorton, la présidente PS de la commission des affaires sociales, signataire de cet amendement. Elle ajoute : « Nous n’avons pas un rendez-vous sur la fin de vie tous les jours. Mon souci n’est pas de savoir ce que voulait le chef de l’Etat. »

Hollande « a joué sur l’ambiguïté »

De son côté, le président de la République ne s’est pas dédit. La proposition de loi Claeys-Leonetti est bien conforme à l’engagement 21 : « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». Une formule compatible avec la proposition de loi que soutient le chef de l’Etat… comme d’autres options auraient pu l’être.

« Dans cette phrase, il y a tout ce qu’on peut imaginer et son contraire », reconnaît le député (PS, Val-d’Oise) Gérard Sebaoun, partisan d’une aide active à mourir. Pendant la campagne, alors que M. Hollande refusait de se montrer davantage précis, Jean Leonetti lui reprochait d’ailleurs de « flouter ses positions ».

François Hollande « a incontestablement joué sur l’ambiguïté » que permettait la formulation de son engagement, juge aujourd’hui Jean-Luc Romero, le président de l’ADMD, « déçu ». La présence, dans l’équipe de campagne du candidat, de Manuel Valls et Marisol Touraine, partisans d’une aide active à mourir, qui avaient poussé le candidat à s’emparer du sujet, a pu y contribuer. En 2009, tous deux, ainsi que Laurent Fabius notamment, avaient signé (et même porté, pour l’actuel premier ministre), une proposition de loi en ce sens.

La démarche de l’Elysée elle-même a pu laisser planer un certain flou sur les intentions de M. Hollande. Après son élection, le nouveau président donne le sentiment de vouloir aller vite, voire fort, sur cette question. En juillet 2012, il laisse six mois au professeur Didier Sicard, l’ancien président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), pour mener une mission de réflexion dans toute la France.

« Le climat doit être apaisé »

Après la remise de ce rapport, en décembre 2012, le chef de l’Etat saisit immédiatement le CCNE et lui demande de s’interroger sur les directives anticipées – ces consignes écrites laissées par chacun concernant sa fin de vie –, sur la manière de « rendre plus dignes les derniers moments d’un patient dont les traitements ont été interrompus », mais aussi sur les « modalités et conditions strictes » qui permettraient « l’assistance médicalisée au suicide ».

L’exécutif est-il prêt à s’engager sur cette piste ? Certains conseillers du président y sont favorables. Elle présente un avantage notamment : faire un pas, sans pour autant embarrasser les médecins et le milieu hospitalier. En effet, si le patient reconnu en fin de vie se voit livrer une ordonnance et prend à domicile les médicaments qui déclencheront sa mort comme dans l’Etat de l’Oregon aux Etats-Unis, pas besoin d’une présence médicale.

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Lire aussi : Légalisation de l’euthanasie : où en sont les pays européens ?

En ce début d’année 2013, à l’Elysée, où l’on souhaite donner le temps nécessaire à la réflexion sur ce sujet sensible qui concerne chaque Français individuellement, on évalue aussi la situation en termes politiques. Comment répondre aux attentes de la société sans heurter, sans diviser ? L’ampleur des manifestations contre le mariage pour tous qui, de novembre 2012 à mai 2013, ont fait descendre dans la rue des centaines de milliers de Français a surpris, et fait réfléchir à la manière de procéder. Au printemps, le sujet « fin de vie » est en mis en sourdine. « Le climat doit être apaisé pour que l’on puisse aborder de telles questions », reconnaît alors un conseiller. Du projet de loi qui avait été promis pour juin, on ne parle plus vraiment.

Janvier 2014 marque un tournant. Lors d’une conférence de presse, François Hollande annonce de nouveau qu’un texte sera déposé. Il le place sous le signe du rassemblement. La France en a besoin, et les municipales approchent. « Je souhaite que ce texte puisse être élaboré sans polémiques, sans divisions et simplement dans l’idée qu’un cheminement est possible pour rassembler toute la société », déclare le chef de l’Etat.

Un « sujet présidentiel »

François Hollande annonce que des consultations seront menées par Marisol Touraine pour entendre les médecins, les intellectuels, les religieux. Mais la ministre de la santé, à qui le sujet tient à cœur – elle est en fait plutôt séduite par la mise en place du suicide assisté –, n’en aura pas l’occasion. En juin, une mission parlementaire est nommée, qui prend la main. La ministre, comme Manuel Valls, devenu premier ministre, ne sont pas aux commandes. C’est un « sujet présidentiel ». L’hôte de Matignon, qui auparavant appelait à « sortir de l’hypocrisie » sur la fin de vie, estime, dans son discours de politique générale, qu’« un consensus peut être trouvé dans le prolongement de la loi Leonetti ».

Dans l’entourage du président, c’est progressivement devenu une évidence. Le texte doit être porté par deux parlementaires des deux grands partis, PS et UMP. Alain Claeys et Jean Leonetti sont les seuls deux noms évoqués. Deux modérés, deux spécialistes reconnus des questions éthiques, qui pourront trouver un terrain d’entente.

C’est là sans doute que la fracture s’est faite avec une bonne partie des députés, qui n’auront pas accepté la nomination de Jean Leonetti, dont la loi en vigueur sur la fin de vie porte le nom. Trop prévisible, trop marqué. N’a-t-il pas, dès avril 2013, présenté sa propre proposition de loi où il indiquait comment améliorer « sa » loi de 2005 avec notamment une sédation en phase terminale ?

Ce qui ressortira de la mission Claeys-Leonetti est en phase avec le résultat de la mission Sicard, et toute la longue réflexion menée par le CCNE, dont le rapport final constate qu’il y a en France consensus sur la nécessité d’améliorer les directives anticipées et la sédation en phase terminale, mais pas sur les notions de suicide assisté et de l’euthanasie. Mais à l’Elysée, on ne semble pas avoir pris la mesure de cette déception. On s’attendait bien à des amendements des écologistes ou des radicaux de gauche, pas à 120 signataires socialistes sur une proposition d’aide active à mourir.

Personne ne sait au final ce que le président pense au fond. Sur les sujets personnels, et la fin de vie concerne justement chacun dans son intimité, François Hollande est très réservé. Tout juste sait-on qu’il aura abordé le sujet avec bon nombre de ses visiteurs, vu des films qui traitent de la question comme Hippocrate et Quelques heures de printemps. Mais s’il soutient fortement la proposition de loi, ce doit être qu’il s’y retrouve.

Au PS comme au gouvernement, à la veille de l’examen, tout le monde tombait cependant d’accord pour dire que le futur texte ne serait qu’une « étape ».

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