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Dans le monde très masculin de la marine marchande, les cas de harcèlement et de violences sexuelles émergent lentement

Par  (Brest (Finistère), Le Havre (Seine-Maritime), envoyée spéciale) et  (Brest (Finistère), Le Havre (Seine-Maritime), envoyé spécial)
Publié le 29 juin 2022 à 05h15, modifié le 30 juin 2022 à 11h46

Temps de Lecture 15 min. Read in English

Les photos de playmates nues, les regards salaces et les blagues du style : « Ah, mais t’as pas de couilles, toi ! Qu’est-ce que tu fais à bord ? », Suzanne – les prénoms des victimes françaises ont été modifiés – les a supportés au début. Pas vraiment le choix. C’était en 2008, l’année de ses 19 ans. Elève officière, elle jouait gros lors de ses premiers embarquements. Ses pairs de la marine marchande, des hommes à l’écrasante majorité, allaient la jauger et la juger. Elle le regrette aujourd’hui, mais, oui, elle a longtemps encaissé ces obscénités sans rien dire. Et puis, il y a eu cette nuit d’escale à Dakar, le 20 mars 2013…

Suzanne est de garde. Elle effectue une dernière ronde, puis part se reposer dans sa cabine, où une sonnerie retentit au moindre incident. A 2 heures du matin, sentant comme une présence, elle ouvre les yeux et découvre le visage du chef mécanicien penché sur le sien. Le marin empeste l’alcool. Il passe la main sur sa cuisse. Suzanne se redresse, exige qu’il s’en aille, mais l’homme s’obstine. « Je suis partie en courant et j’ai réussi à le semer dans les coursives. Après, je suis retournée dans ma cabine et j’ai verrouillé la porte, même si on nous demande de ne pas le faire, car c’est dangereux en cas d’incendie. »

Face au Monde, Suzanne s’exprime à toute vitesse ; ses mots s’entrechoquent. Neuf ans ont passé, mais la jeune femme semble toujours paniquée. Ses mains tremblent, sa bouche se tord d’émotion. Elle a choisi de nous retrouver à la mi-mai à Brest, face à la rade, au plus près des bateaux et de la mer, ses passions d’enfant. Depuis plusieurs mois, elle a renoncé à naviguer. « Récemment, j’ai tenté ma chance sur un navire côtier, mais je me braque à la moindre plaisanterie graveleuse, et les posters de filles à poil, je n’en peux plus… » En 2013, Suzanne n’avait pas osé dénoncer l’agression du chef mécanicien, mais ce qu’elle a vu, entendu et subi pendant d’autres traversées a fini par la convaincre de parler, même si la suite de sa carrière est désormais compromise.

Le 7 mars 2022, cette femme courageuse, parvenue au grade de lieutenante, a été convoquée par la gendarmerie de Brest, chargée d’enquêter, à la demande du parquet, sur l’« affaire Genavir », comme on l’appelle désormais dans le petit cercle de la marine marchande française, rarement habituée à ce que les langues se délient de la sorte. Filiale à 100 % de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), Genavir est l’armateur de sa flotte océanographique, composée de neuf bâtiments, tous de précieux laboratoires flottants pour les scientifiques. C’est à bord de l’un d’eux que Suzanne a été agressée, cette fameuse nuit de 2013, à Dakar.

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