Ces victimes-là n’ont pas de nom. Ils ont pour maigre pedigree celui des « sans-grade » des points de deal. Des subalternes des trafics devenus les cibles de choix des rivalités entre les chefs de clan. Rien que ces derniers jours, ils ont hanté les rubriques des faits divers à Valence, à Montpellier, à Besançon, à Nantes, à Courrières (Pas-de-Calais), à Villerupt (Meurthe-et-Moselle) et à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), selon un décompte sommaire des homicides sur fond de trafic de drogue. Dans la nuit du samedi 20 au dimanche 21 mai, trois jeunes hommes ont été tués par balle sur le parking d’une discothèque, à Marseille. Partout, le même contexte de guerre de territoire. Partout, le même mode opératoire, brutal, où l’arme automatique est reine… L’identité des morts et des blessés se résume à la simple mention de leur âge : rarement plus de la vingtaine.
De ces enquêtes éparpillées, le ministère de l’intérieur a dressé une pyramide des âges qu’a pu consulter Le Monde. Selon ce bilan inédit, établi à partir d’informations des renseignements territoriaux, un peu plus de 60 % des personnes blessées ou tuées lors de règlements de comptes liés aux trafics de stupéfiants depuis janvier sont âgées de moins de 25 ans. Dans le détail, sur soixante-treize victimes recensées en 2023, neuf ont moins de 18 ans, trente-cinq ont entre 18 ans et 25 ans, et vingt-neuf plus de 25 ans.
Ce rajeunissement des victimes nourrit une catégorie statistique créée en 2021 par les services de police spécialisés, dénommée « homicides volontaires et tentatives d’homicides volontaires entre délinquants ». En 2021, ils s’élevaient à 203. En 2022, à 236. Entre le 1er janvier et le 16 mai 2023, ce sont déjà 122 faits de ce type qui ont été relevés par les services spécialisés, contre 80 sur la même période en 2022.
« Lors des luttes entre délinquants pour le contrôle des territoires, l’usage des armes à feu semble s’être banalisé », souligne Yann Sourisseau, chef de l’office central contre le crime organisé (OCLCO). « Les mobiles sont liés à plus de 90 % aux trafics de stupéfiants ; les contentieux entre délinquants portent parfois sur des montants moins élevés qu’auparavant et impliquent des malfaiteurs plus jeunes et moins aguerris, tant du côté des victimes que des auteurs », poursuit-il.
« On s’en prend aux petites mains »
Au cœur de ces expéditions punitives, « qui ne sont plus réservées aux têtes d’affiche », selon le chef de l’OCLCO, figure la maîtrise des points de deal les plus rentables. Ce fut le cas du « 38 rue Watteau », un lieu emblématique des trafics de stupéfiants de la cité des Dervallières, dans l’ouest de Nantes. Le 29 septembre 2022, au petit matin, le corps d’un garçon de 18 ans était retrouvé, à moitié calciné, dans le bois de la Bégraisière, à Saint-Herblain, non loin de ce point de deal contesté entre bandes rivales.
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