Le 1er janvier 2021 au matin, les derniers fêtards arpentent la ville de Toulon, s’allongent sur la plage de la Mitre pour éponger une soirée trop arrosée, se serrent dans les bras pour fêter la nouvelle année. Ils ne voient pas, à quelques mètres d’eux, le corps d’Odile. Quelques heures plus tôt, Odile Nasri, 50 ans, a décidé de mettre fin à ses jours. A l’aube, elle descend sur cette plage, tout près de son domicile, pour une dernière balade. Elle sera retrouvée inanimée à 9 heures par un promeneur. Elle est prise en charge à l’hôpital en « urgence vitale », son cœur lâche vers midi.
« Son mari était à l’hôpital, mais il ne nous a prévenus qu’une heure après son décès. Il ne nous avait pas non plus informés du fait qu’il n’avait plus de nouvelles d’elle depuis près de vingt-quatre heures », raconte Fadila Nasri, la sœur d’Odile, qui s’effondre. « Tout me semble encore surréaliste tant cette fin tragique est aux antipodes de la personne pleine de vie, pétillante, souriante et très indépendante, que tout le monde a connue, poursuit l’enseignante de 55 ans. Avec ma sœur, on a tout partagé, les fêtes, les sorties, les études. Et puis, elle l’a rencontré, son ex-mari. C’est lui qui va l’enfermer dans un huis clos machiavélique, toxique et qui va l’isoler de tout le monde. »
Le rapport de police indique qu’Odile Nasri est morte d’« intoxication médicamenteuse » et d’« hypothermie ». Avec ses trois frères, Messaoud, Karim et Francis, Fadila décide de porter plainte en juin 2021. Trois mois plus tard, la toute première information judiciaire en France pour « suicide forcé » est ouverte. « La route est longue mais je vais me battre pour elle », assure Fadila Nasri.
La France est le premier pays en Europe et le deuxième dans le monde à reconnaître et condamner le suicide forcé. Le harcèlement par conjoint ou ex-conjoint ayant conduit la victime à se suicider ou à tenter de le faire est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. Cette infraction issue du Grenelle des violences conjugales de 2019 est inscrite dans la loi du 30 juillet 2020.
« Vide juridique »
Ce nouvel article 222-33-2-1 du Code pénal vise à incriminer la « face cachée des féminicides », indique Yael Mellul, avocate spécialiste des violences conjugales. « Les suicides forcés correspondent à des situations où un partenaire, une femme dans la majorité des cas, victime de violences physiques et/ou psychologiques ne voit pas d’autre issue pour s’en sortir que de mettre fin à ses jours », détaille l’experte qui a fait du « suicide forcé » son cheval de bataille depuis quinze ans. Pour elle, cette loi vient combler « un vide juridique » et permet la reconnaissance de ce « fléau sociétal ».
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