La procédure pénale est-elle « trop favorable aux trafiquants » ? Dans leur rapport rendu public mardi 14 mai, les sénateurs membres de la commission d’enquête sur le trafic de drogue semblent partager ce constat régulièrement émis par les services d’enquête spécialisés et certains magistrats, inquiets de constater que des réseaux criminels étaient de plus en plus au fait des techniques spéciales mises en œuvre pour les confondre. La raison : un mouvement général de protection accrue des droits de la défense, tout particulièrement sous l’influence de la jurisprudence européenne, qui contraint les services de police et de justice à verser systématiquement dans un dossier judiciaire le détail de l’ensemble de leurs investigations.
Ainsi, observait la cheffe de l’Office antistupéfiants, Stéphanie Cherbonnier, le 27 novembre 2023, alors qu’elle était auditionnée par les sénateurs, que « le faible recours à l’infiltration en matière de trafics de stupéfiants s’explique avant tout par le fait que la retranscription en procédure de toutes les actions mises en œuvre – ensuite versées au contradictoire – donne des clés aux organisations criminelles ».
Ce principe du « contradictoire », qui impose de porter à la connaissance de chaque partie les éléments judiciaires la concernant en les versant au dossier, est reconnu par la commission d’enquête comme « le principe cardinal de toute procédure judiciaire et de la procédure pénale en particulier ». Mais les sénateurs estiment toutefois qu’il « expose les méthodes les plus sensibles aux trafiquants » puisque « les procès-verbaux d’une procédure retracent dans le détail les méthodes utilisées par les services de police ou de gendarmerie lors de l’emploi de tels procédés, les exposant donc à la connaissance des personnes mises en cause qui pourront les déjouer à l’avenir ».
« Un véritable recul du droit »
Parmi les pistes envisagées par la commission d’enquête pour améliorer le traitement des affaires de narcotrafic figure donc, outre la création d’un parquet national antidrogue sur le modèle du Parquet national antiterroriste, l’instauration d’une procédure-coffre, c’est-à-dire d’un « dossier confidentiel » distinct du dossier judiciaire et destiné à recueillir les pièces relatives à la mise en œuvre de techniques spéciales d’enquête, en particulier « les plus récentes et innovantes ».
Ce dossier-coffre serait inaccessible aux narcotrafiquants et à leurs conseils. Une telle éventualité n’est pas sans susciter l’indignation des avocats : « Ce serait donner le signal d’un véritable recul du droit, déplore Me Romain Boulet, coprésident de l’Association des avocats pénalistes, qui ne permettrait plus à la défense de s’assurer des conditions dans lesquelles il est porté atteinte à des libertés aussi essentielles que celles de communiquer ou d’aller et venir. »
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