Ils sont quinze d’un côté, elle est seule de l’autre. Ils sont tous habillés en noir, elle porte une veste blanche. Le procès d’un réseau de trafiquants de drogue basé à Canteleu (Seine-Maritime), en périphérie de Rouen, s’apprête à débuter, lundi 27 mai, au tribunal de Bobigny, et Mélanie Boulanger, l’ancienne maire socialiste (2014-2024) de cette commune de 14 000 habitants, jugée pour « complicité », tient pour l’instant à rester à l’écart : tous ses coprévenus ont pris place sur les bancs de gauche, elle est à droite, aux côtés de son avocat, loin de ceux avec qui elle est accusée de s’être compromise.
La salle numéro 5 du tribunal de Bobigny semble un peu petite pour le vaste réseau – usqu’à dix millions d’euros de bénéfice par an – qu’il s’agit de juger. Le président, Jean-Baptiste Acchiardi, ouvre les débats : « Je vais demander aux prévenus de se lever et de venir à la barre. » La moitié de l’assistance se lève, et un embouteillage se forme dans les travées. « C’est la plus grande salle du tribunal, hormis la cour d’assises, qui est occupée », s’excuse le président, qui égrène alors pendant trois quarts d’heure les charges retenues contre chacun des prévenus.
Le nom de Mélanie Boulanger est l’un des derniers appelés. La veste blanche s’avance à la barre, le président lit la prévention. Il est donc reproché à l’ancienne maire de Canteleu de s’être rendue complice du trafic – dont elle n’a tiré aucun bénéfice financier – « en fournissant des informations aux trafiquants sur les contrôles de police, en les prévenant de la pose de caméras de vidéosurveillance ou en retardant l’installation de celles-ci, ou en demandant aux policiers d’éviter certains secteurs ».
« Vous avez bien compris les faits qui vous sont reprochés ?, lui demande le président.
– Oui, mais je les réfute. »
L’élue est invitée à se rasseoir, et la veste blanche prend place au milieu des blousons noirs : Mélanie Boulanger a tenu, cette fois, à s’asseoir sur les bancs des prévenus.
« Foutoir procédural »
L’audience peut alors débuter, mais elle tourne court. Une demi-douzaine d’avocats de la défense se lèvent tour à tour et demandent le renvoi du procès pour des raisons tenant au respect de la procédure : un certain nombre d’écoutes figurant au dossier font l’objet d’un litige, ces avocats les estiment illégales et souhaitent les faire annuler. La Cour de cassation a été saisie, et il est inconcevable, à leurs yeux, d’entamer les débats tant que la haute juridiction ne s’est pas prononcée.
Le juge d’instruction qui avait décidé de clore l’enquête et de renvoyer les prévenus devant le tribunal était bien conscient de cette situation bancale. Il l’a écrit dans son ordonnance de renvoi : « A la date de rédaction de la présente ordonnance, les arrêts de la Cour de cassation n’ont pas été rendus. » Mais il a estimé que « le souci du respect du délai raisonnable de jugement et les détentions provisoires en cours [commandaient] désormais de rendre [son] ordonnance » et a précisé, pour désamorcer le débat, que dans sa réflexion, il n’avait « [pas pris] en considération les propos tenus dans le cadre des sonorisations » litigieuses.
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