Dans ses conclusions, rendues publiques à la mi-mai, la commission d’enquête sénatoriale sur le trafic de drogue évoquait une France « submergée » par le narcotrafic, soulignait la propagation du phénomène vers « les zones rurales et les villes moyennes », et alertait sur le risque « très élevé » de corruption d’agents publics. C’est un condensé de ces constats qu’offre le procès qui s’est ouvert lundi 27 mai devant la 13e chambre correctionnelle du tribunal de Bobigny. A peine ouvert, le procès a été suspendu jusqu’à la semaine prochaine dans l’attente d’un éventuel examen d’un pourvoi en cassation.
Dix-neuf personnes sont jugées jusqu’au 24 juin pour le rôle qu’elles ont tenu au sein d’un vaste réseau de trafiquants basé à Canteleu (Seine-Maritime), commune de 14 000 habitants limitrophe de Rouen. Aux côtés de délinquants chevronnés, deux élus de la République : l’ex-maire (Parti socialiste) de Canteleu, Mélanie Boulanger, 47 ans, et son ancien adjoint au développement économique, Hasbi Colak, 41 ans. Tous deux ont quitté leur fonction depuis mais restent membres du conseil municipal.
L’affaire débute le 25 septembre 2019, à 120 km de Canteleu, dans un parking de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), par l’arrestation de deux hommes en pleine transaction de stupéfiants – 2 kg de cocaïne et 50 000 euros en espèces sont saisis. L’un d’eux, originaire de Rouen, est en lien avec la famille Meziani, qui règne, depuis Canteleu, sur le trafic régional depuis des années. La voiture avec laquelle il s’est rendu jusque dans le parking de Saint-Denis est au nom d’un restaurant de Canteleu, le Show Kebab, dont le propriétaire est membre de l’équipe municipale : Hasbi Colak.
Se plier à leurs exigences
Le téléphone de l’intéressé est placé sur écoute, et les relations troubles entre cet adjoint et certains membres de la famille Meziani sont mises au jour : ils semblent exercer une certaine pression sur Hasbi Colak, le sollicitant directement pour obtenir un logement social ou des informations sur la présence policière en ville.
Au fil des conversations, il apparaît que l’adjoint joue fréquemment les intermédiaires entre les frères Meziani et Mélanie Boulanger, maire de Canteleu depuis 2014. Laquelle semble parfois guidée par le souci de ne surtout pas se mettre les trafiquants à dos et se montre plus encline à se plier à leurs exigences qu’à entraver leur activité.
En décembre 2019, Hasbi Colak explique à Mélanie Boulanger que les dirigeants du trafic se sont plaints auprès de lui de ne pas avoir été informés de la pose par la mairie de caméras de vidéosurveillance, mais qu’il a pu apaiser les choses. Elle répond qu’ils peuvent, en tout cas, « être rassurés car elle n’a jamais donné de noms au DDSP [directeur départemental de la sécurité public] ».
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