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Le Dépôt de la Préfecture de Police de Paris. Préaux cellulaires, 1909.
MAURICE-LOUIS BRANGER / ROGER-VIOLLET

Les derniers secrets du « dépôt », la prison oubliée du centre de Paris

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Publié le 13 juin 2024 à 05h30, modifié le 15 juin 2024 à 09h35

Temps de Lecture 11 min.

C’est une ligne minuscule dans un vieux registre. En haut de la page, une date a été inscrite au tampon encreur violet : « 18 juin 1942 ». Le reste est tracé à la plume. Tout en bas, à peine déchiffrables, les mots « service juif allemand » sont suivis de deux noms accolés, « Jalby-Jürgens ». Puis apparaissent un autre nom, « Dora Bruder », et une adresse, « 41, bd Ornano ». Enfin, dans la case « Décisions », une mention : « Tourelles ».

Dans son bouleversant récit Dora Bruder (Gallimard, 1997), où il suit les traces de cette jeune fille dans le Paris de l’Occupation, Patrick Modiano se demandait quel avait été le parcours de l’héroïne durant ces jours cruciaux de juin 1942. Le 15 juin, les policiers du quartier Clignancourt l’avaient apparemment remise à sa mère, boulevard Ornano, après une nouvelle fugue. Le 19, elle était entrée au centre d’internement des Tourelles, boulevard Mortier, le début de son chemin vers la mort. Et entre les deux ? « Peut-être Dora a-t-elle été emmenée du commissariat de Clignancourt au dépôt de la Préfecture de police », suggérait Modiano. « Alors, elle a connu la grande salle à soupirail, les cellules, les paillasses sur lesquelles s’entassaient pêle-mêle les juives, les prostituées, les “droits communs”, les “politiques”, poursuivait l’écrivain. Elle a connu les punaises, l’odeur infecte et les gardiennes, ces religieuses vêtues de noir, avec leur petit voile bleu et desquelles il ne fallait attendre aucune miséricorde. »

Dora Bruder entre ses parents, Cécile et Ernest.

Patrick Modiano avait vu juste. C’est ce que prouve la ligne repérée récemment par la chercheuse Johanna Lehr au bas d’un registre d’étrangers en situation irrégulière, conservé aux archives de la Préfecture de police. Après avoir été arrêtée seule dans Paris par la police française, Dora Bruder, 16 ans, a bien été envoyée au « dépôt », cette petite prison transitoire, cette gare de triage pour individus suspects, située dans l’enceinte du Palais de justice, sur l’île de la Cité. Elle y est emmenée par Henri Jalby et Alfred Jürgens. Pas n’importe quels policiers. « Ces inspecteurs français de la 5e section des renseignements généraux [RG] étaient des chasseurs de juifs aguerris et particulièrement redoutables, explique Johanna Lehr. Ils parlaient l’allemand et avaient été détachés, dès le printemps 1941, auprès de Theodor Dannecker, alors l’un des SS les plus puissants de Paris. Ils agissaient aussi bien au nom de la Gestapo que de la Préfecture de police de Paris. »

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Une fois Dora Bruder arrivée au dépôt, d’autres inspecteurs règlent le cas de la jeune fugueuse. C’est là que tout se décide. Ils la voient à 18 h 40, ce jeudi 18 juin 1942. Elle est en infraction avec l’ordonnance allemande du 7 février précédent, qui impose aux juifs un couvre-feu entre 20 heures et 6 heures. Très vite, ils concluent qu’elle ne sera pas libérée, mais rejoindra le camp des Tourelles, à la porte des Lilas. Elle y part le lendemain, à 11 heures. De là, elle sera transférée plus tard au camp de Drancy, en banlieue parisienne. Puis à Auschwitz, où elle sera assassinée, comme des millions d’autres.

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