Dans un contexte économique tendu, avec une inflation qui rogne le pouvoir d’achat des Français et des collectivités territoriales, mises à mal par la hausse des prix de l’énergie, la question des financements publics destinés aux Jeux olympiques (JO) et paralympiques (JOP) de 2024 est un sujet sensible. Il l’est d’autant plus que comprendre la nature et l’ampleur de ces financements n’est pas simple. Le discours officiel tend, par ailleurs, à donner une vue qui n’englobe pas la totalité de ces engagements.
« C’est vrai, nous devons améliorer la lisibilité des financements », a déclaré la ministre des sports et des JO et JOP, Amélie Oudéa-Castéra, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 25 octobre. Elle répondait au député Maxime Minot (Les républicains, LR), qui faisait valoir que la réactualisation, afin de tenir compte de l’inflation, des budgets du Comité d’organisation des Jeux (Cojop) et de la Solideo, la société chargée de la livraison des chantiers, s’annonçait « opaque aux yeux des Français ». « Nous devons faire preuve de pédagogie pour que les Français nous suivent », avait-il ajouté.
Deux structures, deux niveaux d’engagement public différents
La structure mise en place pour ces Jeux, avec deux acteurs, le Cojop et la Solideo, peut être une première source de difficulté pour comprendre où et comment interviennent l’Etat et les collectivités territoriales.
Pour le Cojop, chargé de planifier et organiser la tenue des différentes compétitions, les financements sont à 97,5 % privés et à 2,5 % publics. A ce stade, sur un budget de 3,98 milliards d’euros, la subvention publique s’élève à 100 millions d’euros (80 pour l’Etat, 10 pour la Région Ile-de-France et 10 pour la Ville de Paris).
Chargée de la construction et de la rénovation des futures infrastructures olympiques, la Solideo, pour sa part, dispose, à ce stade, d’un budget de 3,67 milliards d’euros, dans lequel la part des financements publics se chiffre à 1,57 milliard (1,058 milliard pour l’Etat, 500 millions pour les collectivités territoriales). Les équipements financés (villages des athlètes et des médias, centre aquatique...) ont vocation à être réutilisés post-Jeux.
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Des financements publics hors budgets du Cojop et de la Solideo
Si l’on additionne les sommes précitées, le montant des engagements publics avoisine, à l’heure actuelle, 1,7 milliard d’euros. C’est le chiffre mis en avant par le gouvernement. En réalité, les investissements publics liés aux Jeux sont supérieurs : ils sont de 2,1 milliards d’euros, comme le détaille le rapport relatif à l’effort financier public dans le domaine du sport, publié en annexe du projet de loi de finances pour 2023.
Ce document – appelé « Jaune budgétaire » – rédigé par la direction des sports, au ministère des sports, souligne que « trente des soixante-quatre ouvrages, sous la maîtrise d’ouvrage ou la supervision de la Solideo, disposent de crédits publics hors budget de l’établissement ». Ces financements publics complémentaires représentent 496 millions d’euros et concernent des projets « qui préexistaient à l’organisation des Jeux, même s’ils sont utiles » pour ces derniers, ou qui ont été « enrichis en prenant une nouvelle dimension dans la perspective des Jeux », souligne le document.
Est citée, entre autres exemples, la construction du Centre aquatique olympique et d’une passerelle piétonne au-dessus de l’autoroute A1, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), pour lesquels la Métropole du Grand Paris a ajouté 20 millions d’euros aux 147 millions figurant au budget de la Solideo ; ou encore la construction de l’enceinte sportive Arena, porte de la Chapelle, dans le 18e arrondissement de Paris, pour laquelle la Ville de Paris engage 49,39 millions d’euros, hors budget Solideo.
Pointant le fait que ces dépenses sont « pour l’essentiel des dépenses des collectivités », le document budgétaire du gouvernement y trouve matière à satisfecit : « Les Jeux exercent un effet de levier favorisant les investissements. L’héritage des JOP 2024 s’en trouvera renforcé. »
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L’inconnu du coût des mesures de sécurité
Le « Jaune budgétaire » rappelle aussi que l’Etat a pris à sa charge (12,8 millions d’euros) le déménagement du laboratoire d’analyses de l’Agence française de lutte contre le dopage, de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) au campus d’Orsay (Essonne), afin de permettre « une augmentation et une amélioration des capacités [de contrôle antidopage], de nature à répondre aux enjeux liés aux Jeux ». L’Etat a par ailleurs dédommagé (3,34 millions d’euros) le consortium du Stade de France pendant des travaux (en 2021) nécessaires à l’organisation des Jeux.
Reste que, pour le moment, les chiffres relatifs à la dépense publique n’intègrent pas totalement une composante qui s’annonce lourde : la sécurité. « Indépendamment des budgets dédiés à la sécurité au sein des dépenses du Cojop et de la Solideo, l’Etat avait assuré que la sûreté et la sécurité des Jeux incomberaient au ministère de l’intérieur », rappelle le « Jaune budgétaire ».
D’autres dépenses, notamment dans le domaine de la santé, seront aussi prises en charge par l’Etat. « Ces dépenses seront affinées au fur et à mesure de l’approche des Jeux, notamment pour ce qui concerne la sécurisation des cérémonies d’ouverture », souligne le document.
Par ailleurs, certaines dépenses consenties par les départements n’apparaissent pas non plus dans ces décomptes : le département de l’Oise a par exemple consacré 20 millions d’euros pour soutenir les 37 lieux référencés centres de préparation des Jeux.
L’inflation oblige à des corrections
Dès à présent, un élément alourdit la facture : l’inflation. Pour la Solideo, les financeurs publics devront apporter 150 millions d’euros supplémentaires. L’Etat s’est engagé à verser 96,2 millions, le reste devant être apporté par les collectivités locales. Un conseil d’administration doit acter ces financements le 16 décembre.
Les estimations de l’impact de l’inflation sont toujours en cours pour ce qui concerne le Cojop. Mme Oudéa-Castéra a déclaré, le 2 novembre devant les sénateurs, que ce surcoût sera « supérieur » aux 150 millions d’euros de la Solideo. « 50 % des marchés du Cojop restent à conclure. Il y a une exposition structurelle qui est plus forte », a-t-elle expliqué.
Des doutes sur l’équilibre du budget du Cojop
La crainte de voir la facture olympique déraper et les finances publiques être sollicitées plus que prévu tient à la capacité du Cojop à tenir son budget à l’équilibre. D’ici au 12 décembre, date à laquelle se réunira son conseil d’administration, il doit démontrer que ses dépenses n’excéderont pas ses recettes.
Mais le slogan « les Jeux financent les Jeux », ressassé par les pouvoirs publics, est mis en doute. « La perspective d’un déficit qui devra être pris en charge par le contribuable est devenue une possibilité – pour ne pas dire une probabilité – qui vient contredire les déclarations très souvent rassurantes du gouvernement », a déclaré, le 9 novembre, le sénateur Jean-Jacques Lozach (groupe Socialiste, écologiste et républicain) dans son rapport pour avis sur le projet de budget 2023.
Au micro de Franceinfo, le 10 novembre, Mme Oudéa-Castéra a cherché à rassurer : « Cela ne va pas déraper dans les grandes largeurs. »
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