A Saint-Ouen, l’un des premiers stades de France

A Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, certains amateurs de football n’ont même pas à sortir de chez eux pour applaudir leur équipe et ajouter leurs chants à ceux des tribunes. Les soirs de match, lorsque leur équipe joue à domicile, il leur suffit d’ouvrir la fenêtre pour encourager, à pleine voix, les joueurs du Red Star. Ces supporteurs singuliers habitent Planète Z, un ensemble de cent neuf logements édifié dans les années 1970 par l’architecte Jacques Starkier. De forme triangulaire, de sorte que chaque niveau compte un appartement pourvu d’une terrasse à ciel ouvert, cet immeuble est implanté dans le prolongement de la pelouse du stade Bauer, côté sud. Habitations et stade ne font qu’un.

Et l’architecture du stade est révélatrice de l’histoire du sport. Pour Hélène Caroux, chargée d’inventaire du patrimoine contemporain au sein du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, l’implantation du stade Bauer, l’un des premiers stades construits en France, illustre bien l’essor du football et des clubs dans l’Hexagone au cours du XX^e siècle. « Quand le stade émerge, on a encore des amateurs qui cherchent juste un terrain en dehors de Paris, explique-t-elle. A ce moment-là, le Red Star est un club omnisports avec de la course à pied, du tennis… Les joueurs se sont d’abord entraînés à Meudon, puis dans Paris dans l’espace qui va servir à la construction du Vélodrome d’Hiver, qu’ils doivent donc quitter. » Ils trouvent alors un modeste terrain vague, dans une zone peu bâtie et encore cultivée, à Saint-Ouen. C’est la naissance du stade de Paris, rebaptisé après-guerre du nom de Jean-Claude Bauer, résistant, fusillé pendant la guerre. Le Red Star, fondé en 1909, est donc domicilié à Saint-Ouen au stade Bauer depuis 1922.

Un stade centenaire en pleine renaissance

Ce stade historique représente une ouverture sur la ville et a contribué à l’attachement des Audoniens (les habitants de Saint-Ouen). A l’image de Gilles Saillant, 72 ans, considéré comme l’historien et archiviste des lieux, qui recense avec passion tous les articles parus sur le stade. « Avant, il se limitait à un terrain, raconte-t-il. Puis il y a eu des améliorations, avec des douches, des vestiaires – le summum de la modernité à l’époque – et les premières tribunes. On a commencé à les agrandir vers les années 1930, en couvrant les gradins en ciment d’un toit qui mettait le public à l’abri. » Au fil des décennies, des tribunes de fortune ont été ajoutées, mais jamais derrière les cages.

Cet espace singulier, ancré dans un quartier, permet depuis des années une proximité à la fois géographique et sociale, avec l’intégration des moins de 15 ans dans l’équipe de jeunes du Red Star. Steve Marlet a joué six ans sur la pelouse du stade Bauer et, après une carrière internationale, il y est revenu. Il occupe maintenant le rôle de conseiller du président du club. « Quand je suis parti, en 1996, de nombreux projets de rénovation étaient restés dans les tiroirs. C’est amusant de voir aujourd’hui l’ancien monde, en face, avec cette tribune qui sera bientôt détruite, et le nouveau monde qui nous attend, cette nouvelle tribune inaugurée. »

Car vendredi 12 janvier 2024, Saint-Ouen et Planète Z étaient en fête : pour le premier match de la saison, on inaugurait enfin une tribune neuve, première étape d’une refonte complète du stade, aboutissement de décennies de projets contrariés. C’est qu’il a d’abord fallu régler la question de l’implantation du stade dans la ville, les zones maraîchères ayant disparu depuis longtemps pour laisser place à des habitations. L’agence d’architecture SCAU et le promoteur immobilier Réalités ont donc travaillé sur cette particularité pour imaginer une mutation du stade en stade low-tech de dix mille places respectant un budget contraint. « Cela impliquait de trouver les technologies et les matériaux qui nous permettent d’économiser sur la matière », commente l’architecte Luc Delamain.

Il a ensuite fallu créer un montage financier innovant. C’est l’autre plan d’ampleur qui devrait révolutionner le stade Bauer d’ici à 2026 : à l’opposé de l’immeuble Planète Z, la « Bauer Box », un ensemble de bâtiments d’activité commerciale et de logements de quelque 30 000 mètres carrés, devrait permettre de générer des revenus complémentaires. Coût estimé, 190 millions d’euros, sans compter les 50 millions dévolus au stade lui-même. Les supporteurs, réunis au sein de la tribune, approuvent le projet dans son ensemble. Ils sont associés aux décisions et ont obtenu du constructeur l’assurance qu’aucun accord de « naming » ne permettrait de renommer le stade, ni leur tribune historique. Cette dernière porte le nom de Rino Della Negra, un ancien joueur de l’« étoile rouge » et membre du groupe Manouchian, fusillé au Mont-Valérien en février 1942.

Retrouvez tous les épisodes de la série « Archi intéressant »

La saison 3 du podcast « Archi intéressant » est produite à l’occasion de l’exposition « Il était une fois les stades », présentée du 20 mars au 16 septembre 2024 à la Cité de l’architecture et du patrimoine.